Comment exploiter les ressources que nous offre la nature sans lui nuire ?
Les algues sont certainement une partie de la réponse. Ce végétal marin, à l’origine de la vie sur terre, est l’une des plus grandes ressources naturelles encore sous-exploitées, aux extraordinaires propriétés. Il faut différencier les microalgues, formes de vie unicellulaires, plus communément appelées algues bleues, des macroalgues, organismes complexes et multicellulaires, dont il existe environ 12 000 espèces, vertes et rouges.
Les algues constituent un écosystème maritime sophistiqué similaire aux forêts terrestres, dont l’un des rôles majeurs est la décarbonation de notre planète par la séquestration du CO2 et par la restauration des biotopes, qui sont eux-mêmes des puits de carbone. Elles présentent l’avantage de se reproduire et de pousser très rapidement, et font preuve d’une grande capacité d’adaptation à différents climats et conditions de vie, même les plus rudes. On les retrouve ainsi partout sur la planète sous de multiples variétés, ce qui offre un potentiel d’exploitation à l’échelle mondiale tout en préservant des singularités locales.
Grâce à leurs incroyables vertus, de nombreuses cultures, à travers le monde et les siècles, les ont intégrées dans leur quotidien : pour se nourrir, se soigner, se vêtir ou encore pour construire.
Elles sont aujourd’hui largement employées dans des domaines industriels tels que la cosmétique, l’alimentaire et la santé, mais sont encore trop marginalement exploitées en tant que matériau. La culture de l’algue est très ancrée en Asie où elle représente 97 % de la production mondiale.
Ce végétal est par exemple utilisé depuis le XVIe siècle au Japon dans la construction pour élaborer un enduit hygroscopique, antifongique et protecteur, appelé SHIKKUI, constitué de chaux éteinte, de fibres végétales, de coquilles d’œufs et d’extraits d’algues, pour protéger les murs des maisons et les joints des bâtiments en pierre. Cette finition est encore utilisée de nos jours, en intérieur notamment, où elle permet la circulation d’un air assaini. Tout comme le Japon s’inspire de son passé pour innover, cette entreprise nordique nous livre une autre illustration : Søuld redonne vie à une technique de construction de charpente à base d’algues, plus précisément de zostères, datant du XVIIe siècle et propre à l’île de Læsø. Un héritage longtemps oublié. Ce projet a permis la collaboration d’agriculteurs et de municipalités locales afin de récolter cette plante marine, rejetée sur le littoral danois, qui constitue une ressource locale abondante, renouvelable et négligée. Le matériau obtenu, Eelgrass, offre ainsi un excellent confort acoustique, thermique et hygrométrique.
À l’occasion, cette année, de la Biennale d’architecture de Chicago, le studio SOM a présenté à travers une installation, en collaboration avec Prometheus Materials, une alternative biosourcée aux parpaings standards, nommée bio-block. Le béton pour la construction est responsable de 8 % des émissions de CO2 dans le monde. En s’inspirant de la formation naturelle du carbonate de calcium, présent dans les récifs coralliens ou encore dans les coquilles d’huîtres, ils sont parvenus à produire ces blocs par bio-minéralisation grâce à des microalgues. La fabrication ne génère ainsi pas de carbone, qui est emprisonné. Les performances physiques, mécaniques et thermiques sont équivalentes à celles du béton Portland.
De plus en plus d’initiatives émergent en Europe. L’entreprise BlueBlocks, basée aux Pays-Bas, étudie depuis 2021 des panneaux fibrés fabriqués à partir d’algues brunes, nommés SeaWood. Sous forme de panneaux de finition ou d’isolation, ce matériau compostable ne contient pas d’additif chimique. Déjà disponible pour des développements spéciaux, la production d’une gamme standard à plus grande échelle est envisagée pour 2024.
Le projet de Samuel Tomatis, intitulé « Alga », est aujourd’hui incontournable et très prometteur. La Bretagne constitue le premier champ d’algues naturel européen et le dixième mondial, et subit en outre le rejet de 40 000 tonnes d’algues vertes chaque année sur ses plages, conséquence, entre autres, de l’élevage intensif et du changement climatique.
Le premier objectif de ses recherches consiste à transformer ce déchet local en production positive. Plusieurs pistes de matériaux ont ainsi vu le jour : des panneaux rigides constitués à 100 % d’algues compressées, alternative aux panneaux agglomérés « classiques », des matériaux souples pouvant se substituer au plastique ou encore au cuir, des papiers, des briques de terre crue utilisant des algues en remplacement de la chaux, des émaux ou encore des teintures naturelles.
L’utilisation des macroalgues comme matière première n’en est qu’à ses débuts et les perspectives d’innovations sont vastes. Cet organisme offre aussi l’avantage fascinant de proposer un champ diversifié d’esthétiques. La création textile est un formidable terrain exploratoire.
Tout juste récompensé par le prix Bettencourt pour l’Intelligence de la Main, le duo d’artisanes, Lucile Viaud et Aurélia Leblanc, a mis au point un tissage intégral en verre. « Glaz », le verre qui le constitue, est fabriqué à partir de coquilles d’ormeaux et de microalgues, puis travaillé à chaud afin d’obtenir de fins filaments qui sont ensuite tissés.
Également d’origine bretonne, Violaine Buet démarre sa recherche autour de ces organismes marins en 2016, pendant ses études. Elle s’entoure d’experts en colorations végétales et de chercheurs en biopolymères pour créer son studio de recherche et développement créatif sur les macroalgues. Elle emprunte des techniques et outils aux métiers d’arts pour transformer et ennoblir les algues. Elle explore ainsi le tressage, le gaufrage, la broderie ou encore l’impression pour créer des ouvrages textiles sur mesure.
Rose Ekwé, jeune créatrice textile française, cherche elle aussi à développer
des solutions biosourcées sur mesure. À partir d’algues, de végétaux et de minéraux, issus de la biomasse marine, elle a mis au point une technique de tissage brevetée, nommée Gélotextiles® composés de Gélofils®, pour imaginer des textiles biodégradables et compostables qui pourraient également trouver des applications dans l’agro-alimentaire, car parfaitement comestibles.
Enfin, les algues constituent une ressource très prometteuse pour le remplacement des plastiques issus de la pétrochimie qui mettent 700 ans à se décomposer. Ce même pétrole est composé en grande partie d’algues qui se sont sédimentées pendant des millions d’années à travers les couches géologiques… La boucle sera bientôt bouclée !