Biomatériaux, biodesign...

Par Quentin Hirsinger

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Biomatériau, biodesign, biofabrication, biosourcé, biodégradable… Le préfixe « bio » se décline aujourd’hui à toutes les sauces, il devient étendard. Le bio est forcément bon puisque « bio » signifie « vie » en grec. Alors, fermez le ban !
Un tel unanimisme, un tel matraquage par les services marketing des producteurs, sans réflexion sous-jacente, sans argumentaire autre qu’incantatoire devrait avant tout nous alerter, nous pousser à nous interroger et exercer notre esprit critique. Arrêtons-nous simplement sur quelques-uns de ces termes.

Un polymère biosourcé, par exemple, est-il automatiquement moins nocif pour la planète qu’un polymère issu du pétrole ? Pas nécessairement, car sa production requiert elle aussi des ressources naturelles importantes, de l’énergie qui génèrent des émissions de CO2, et surtout le fait d’être fabriqué à partir de maïs, de cellulose de bois ou de peaux de banane ne confère pas de facto à ce matériau la capacité de facilement se dégrader en fin de vie. Il peut comme son cousin issu du pétrole poser les mêmes problèmes de déchets pérennes sur un temps long.

Le terme biodégradable, justement, est lui aussi générateur de véritables chausse-trapes. Passons déjà sur le message délétère de déresponsabilisation sous-jacent : « Consommez sans compter, ne vous souciez pas des déchets puisqu’ils vont disparaître comme par magie dans la nature, sans dommage »… Or, des études ont montré d’une part qu’une majorité des plastiques dits « biodégradables » ne sont finalement pas « biodégradés », car simplement laissés à l’abandon dans la nature, sans les conditions nécessaires d’humide et de température pour qu’une dégradation puisse s’opérer. D’autre part, cette biodégradation n’est généralement pas anodine ni sans conséquence, car elle n’est que partielle, le polymère se brisant simplement en milliers de microplastiques qui certes disparaissent à notre vue, mais se retrouvent dans les sols, les nappes phréatiques, la mer et in fine dans nos assiettes.

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Quant à la biofabrication, il s’agit d’une belle idée sur le principe : faire produire directement par la nature (plantes, bactéries, enzymes, levures et autres micro-organismes) les différents matériaux et objets de notre quotidien. La nature deviendrait ainsi l’usine des biens consommés, qui ensuite retournent « naturellement » à la source. Sauf que de l’idée à la pratique le chemin est long ; les réalisations restent anecdotiques, absolument pas à l’échelle pour changer ou même infléchir légèrement la courbe. Nous nous retrouvons face à un storytelling percutant, un buzz médiatique immense sur des projets insignifiants et généralement non viables, des lubies qui se veulent des promesses de lendemains qui chantent. Autant de solutions illusoires, mais qui risquent de ralentir encore la nécessaire prise de conscience.

Alors, cynisme mercantile, cécité, paresse intellectuelle ? Ou alors plus simplement une société qui n’arrive pas pour l’instant à se remettre véritablement en question, et qui s’accroche désespérément aux dernières branches qu’il lui reste avant le grand saut…

En conclusion, ce préfixe « bio » ne doit pas être vu comme une qualité qui devrait clore le débat, un blanc-seing qui lave de tous les péchés. Il ne doit pas non plus être immédiatement suspecté d’être un terme de greenwashing à proscrire. C’est simplement une information parmi d’autres, une spécificité qui peut-être apporte une couleur particulière, des qualités nouvelles à un projet. C’est bio, c’est bien… ou pas.