Emmanuelle Luciani

Par Sébastien Maschino

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Emmanuelle Luciani (Bella Hunt) & Dante Di Calce • © Tristan Savoy, 2023

Designeuse, alchimiste, comment définissez-vous votre approche de la matière ?

J’ai une formation à la fois d’historienne de l’art et des Beaux-Arts, et je suis curator depuis plus de douze ans. J’ai toujours eu un regard global sur mes projets. Mais c’est la création de mon duo d’artistes, Bella Hunt & Dante Di Calce, qui a vraiment mis la production au centre de ma pratique. Quand j’ai commencé la sculpture avec Dante, ce sont avant tout des objets de scénographie que nous avons créés, qui venaient donner de l’épaisseur à mes expositions et qui permettaient de les asseoir dans un univers visuel, quasi cinématographique.

Les objets sont venus par le décor de mes shows. Encore davantage aujourd’hui, notre approche de la technique et des matériaux est au service des compositions, qu’il s’agisse d’expositions ou de performances, comme pour la scène sculptée de notre spectacle, Bella’s Inferno ou pour des commandes privées.

Comment choisissez-vous les matériaux pour vos créations et quelle importance accordez-vous à leur origine et leur transformation ?

Ce qui m’intéresse, c’est l’ambiguïté et l’hybridation. Je ne fétichise pas le geste technique ou la matière, mais j’aime les pousser au maximum, comme avec nos séries de sculptures en céramique aux reflets métalliques ou à l’émail semblable à des peaux de poisson. On ne se limite pas, et on ne se fixe pas de doctrine, on recourt assez souvent au métal également par exemple. L’important, c’est le mouvement constant, c’est de montrer une évolution perpétuelle, même subtile. Il y a huit ans, j’ai beaucoup travaillé sur les arts & crafts et le retour aux techniques préindustrielles dans l’art contemporain, mais maintenant nos formes sont plus acérées et évoquent des hybridations entre carrosserie auto et armure médiévale, notre sujet est désormais l’idée de bulle temporelle et de tension entre passé, présent et futur, ou entre culture classique et pop culture.
C’est d’ailleurs le fil conducteur de mon projet en tant que curator du programme de résidences de la Fondation Hermès, que je dirige depuis cette année.

Dans vos collaborations avec des artisans et artistes, vous explorez des techniques traditionnelles. En quoi ces matériaux spécifiques influencent-ils votre processus créatif ?

Je n’oppose jamais tradition et futur. En fait, ce qui m’intéresse, du pur point de vue technique, ce sera plutôt d’amener quelque chose de traditionnel et d’ancien, comme la céramique vers des formes nouvelles. Nous avons par exemple produit une série de têtes antiquisantes en bronze pour un collectionneur, à partir de moules imprimés en 3D, tout en utilisant une fonte à petite échelle pour donner du relief et de l’irrégularité aux œuvres.
Je prépare également un projet de tapisserie tissée par machine, à partir de motifs issus de notre catalogue de céramiques retravaillés par ordinateur. Ce que je recherche c’est vraiment les tensions entre les mondes, notamment passé et futur.

Le choix des matériaux peut parfois orienter l’esthétique d’une œuvre. Comment parvenez-vous à équilibrer vos intentions créatives avec les contraintes inhérentes à ces matériaux ?

Nous sommes bien sûr contraints par les spécificités techniques de tel ou tel matériaux mais nous domptons la matière et le geste en fonction de nos projets et de nos réalisations. Si nous avons une idée et qu’au premier abord la céramique, par exemple, n’y répond pas, nous essayons de pousser la technique à son maximum, ou nous envisageons une autre matière. C’est aussi l’avantage de collaborer ponctuellement avec des artisans, cela permet d’étendre l’éventail des techniques que nous utilisons pour nos œuvres, et c’est aussi un moyen d’agrandir nos aventures artistiques. C’est vraiment un voyage dans l’histoire des techniques.

Dans votre approche, vous abordez vos projets par le prisme d’expositions et de scénographies, comment le changement d’échelle, avec la production d’objets se connecte à votre pratique curatoriale ?

Les objets et les œuvres produits pour mes scénographies sont pour moi des témoignages voire des reliques. Des traces matérielles, concrètes et durables de moments temporaires ou éphémères. Les objets découlent avant tout de ces univers globaux que je crée pour mes projets. L’avantage de maîtriser au moins en partie la production est aussi la possibilité de repousser les limites de ce qu’on montre au public. Nous avons (Bella Hunt & Dante Di Calce) créé des œuvres-socles, des piédestaux sculptés et des ensembles sculptés complets, notamment à l’occasion de « Diesel Memories », du « Monument à la Licorne » ou de Bella’s Inferno.
C’est aussi pour ça que nous aimons avoir une approche contextuelle de notre travail. S’adapter à une contrainte, à un lieu spécifique, que ce soit sous le prisme historique ou simplement architectural, permet toujours d’insuffler une évolution organique à notre travail.

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par ordre d’apparition : « Diesel Memories » (Space Opera Shell), in Bella’s Inferno © Tristan Savoy, 2024 • « Diesel Memories » (Driver Helmet), in Bella’s Inferno © Tristan Savoy, 2024

• Bella’s Inferno © Manel Tleta, 2024 • « Drive to Survive » (Flame Thruster), in Bella’s Inferno © Tristan Savoy, 2024

• « Diesel Memories » (Uranus Conqueror Ship), in « Diesel Memories » © Alexis Armanet, 2023• « Drive to Survive » (Flame Thruster), in « Diesel Memories » © Alexis Armanet, 2023