sous la curation de Kamel Brik, expert en matériaux

Ère post-carbone

Par Louise Conesa

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Collection 018, Coal: Post-Fuel, A Speculative Future, Studio Jesper Eriksson, pour le Pavillon suédois lors de la London Design Biennale, 2018 © Courtesy of Studio Jesper Eriksson

Le charbon a joué un rôle crucial dans l’histoire de l’humanité. Moteur de la révolution industrielle au début du XXe siècle, il est aujourd’hui décrié pour son impact écologique catastrophique. Roche sédimentaire formée à partir de la dégradation partielle de matière organique, elle est pourtant inoffensive à l’état brut. C’est à sa combustion, émettant du CO2, qu’elle contribue à la pollution de l’air. Sa controverse interroge et suscite l’intérêt d’artistes et de designers à la recherche d’une nouvelle narration. De son passé industriel à ses propriétés naturelles, le charbon entame une nouvelle ère.

Peut-on revoir l’identité du charbon, le transformer de ressource énergétique en matériau de construction ? L’artiste et designer suédois Jesper Eriksson se penche sur cette question depuis quelques années.

En explorant l’histoire du charbon, il a réalisé le pouvoir de notre perception sur la fonction du matériau, l’envisageant non plus comme une source d’énergie, mais comme une matière première au potentiel esthétique. Cette réflexion a donné naissance à de surprenantes séries de mobilier contemporain et sculptural. Le charbon y est travaillé comme une pierre naturelle. Délaissant la combustion, il est taillé, lissé ou laissé brut, évoquant parfois le marbre dans une tonalité anthracite.

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Dans cette même exploration historique, le studio Quiproquo s’est quant à lui intéressé aux savoir-faire qui en découlent. Le projet « Gris Charbon », réalisé en 2023, a conduit le duo de designers vers les derniers charbonniers de France. À la scierie Taviot, où la technique de la fabrication du charbon de bois à la meule de terre, est encore employée.

Les essences y sont cuites à l’étouffée, évitant la combustion de la pratique industrielle. C’est une méthode artisanale qui confère au matériau une qualité inégalable. Sa couleur se rapproche du gris par la forte présence de carbone et sa texture délicate rappelle celle de la porcelaine. En cours d’expérimentation, « Gris Charbon » s’attache à perpétuer l’histoire singulière, transmettant cette technique à travers des objets à venir et invitant à son exploitation artistique.

C’est dans ce contexte que la peintre Mayeul Gauvin a découvert les qualités pigmentaires du charbon. Dans sa recherche d’une pratique artistique à faible impact environnemental, elle s’est plongée dans les recettes anciennes de décors, où les matières premières sont peu transformées. Inspirée par le thème du bois brûlé, elle s’est aventurée dans l’utilisation du charbon découvrant des propriétés esthétiques uniques.

Les tons noirs à la Soulages, les textures flirtant parfois avec le mat, le brillant et le velours, lui permettent de reproduire avec justesse l’esthétique du bois brûlé et de créer une vraie cohérence de travail, de la matière première à l’œuvre finale.

Au-delà des approches traditionnelles, certains artistes et designers se tournent vers des processus naturels pour offrir une nouvelle narration aux matériaux. Inspiré par les caractéristiques fossiles du charbon, le chercheur et designer Émile De Visscher a développé un processus de pétrification, transformant les matériaux fragiles organiques tels que le papier ou le bois, en matériaux durables inorganiques. Ce projet, alliant science et design, invite ainsi à réfléchir sur la pérennité de nos savoirs et de notre héritage dans un contexte de crise écologique. Avec la réalisation d’objets à l’allure de céramique, c’est une nouvelle forme d’artisanat qu’ouvre Émile De Visscher à d’autres designers.

par ordre d’apparition : Collection 019, Coal: Post-Fuel, A New Social Relation, Studio Jesper Eriksson, pour la Mint Gallery, Londres, 2019 © Courtesy of Studio Jesper Eriksson, Briques, Gregory Lacoua, exposition « Au charbon ! Pour un design post-carbone », CID Grand-Hornu, 2022 © Emile Barret • Décor peint de faux bois, peinture, Atelier Mayeul Gauvin © DR