Pour Dolce & Gabbana, FRESH architectures et Rousseau Dapelo signent un projet manifeste et multisensoriel.

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Par Olivier Reneau

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Artère majeure du triangle d’or parisien, l’avenue Montaigne est désormais un repère fort pour l’industrie de la mode et du luxe. Si le style haussmannien caractérise l’architecture du quartier, il ne formate pas pour autant l’avenue, comme en témoigne le portique à l’antique ornant la façade du n° 54. Les dimensions du bâtiment, sa situation, la liberté architecturale autorisée par le contexte avaient tout pour faire de cette adresse le « landmark » parisien de la maison Dolce & Gabbana.
L’agence FRESH architectures a tiré parti de l’existant pour amplifier le potentiel du dispositif architectural. Dans sa partie publique, l’espace s’étire sur toute la longueur de la parcelle, retrouvant ainsi les dimensions des débuts, tandis qu’il se déploie du sous-sol au rez-de-chaussée pour former un volume particulièrement monumental. De même, fait rare dans une boutique, l’aménagement d’un jardin et de plusieurs terrasses en toiture offre désormais de nouvelles perspectives d’usage. Enfin, le traitement de l’enveloppe extérieure a été pensé comme celui d’un objet précieux. Agencée avec la précision d’une maille artisanale, la façade est recouverte d’une multitude de picots en porcelaine qui génère une trame à l’impact visuel marquant.

L’aventure du 54 avenue Montaigne est avant tout une histoire de rencontres et une croisée des chemins entre un propriétaire, un preneur et un architecte. La force et la puissance d’un tel concentré de volonté et de créativité, ont permis de concevoir cette opération à plusieurs mains, complet point d’équilibre entre différents métiers d’arts traditionnels et innovations. Le projet a été l’opportunité unique de composer avec une matière existante marquée par son histoire, et de lui redonner son caractère de noblesse oublié, en repoussant toujours davantage les limites des contraintes techniques pour mieux servir l’inventivité, grâce à un véritable travail d’orfèvre de plusieurs années. Un projet manifeste conçu à l’image d’une pièce de haute-couture, s’inscrivant dans l’une des plus belles avenues du monde, avec douceur, élégance et volupté.
Une intemporalité des lieux au service d’une pérennité urbaine.

Un écrin de porcelaine

Les dimensions de l’édifice, sa situation, l’articulation de ses espaces et la liberté architecturale autorisée par le contexte présageaient tout pour faire de l’adresse le « Landmark » d’un grand nom de la mode.
Restait à réinterpréter la façade pour replacer l’adresse à la hauteur de ces enjeux. « Créer une nouvelle façade avenue Montaigne représente un vrai travail d’équilibriste. Car cet élément, véritable marqueur de l’adresse, doit pouvoir être libre du preneur, en l’occurrence une marque qui va devoir se l’approprier », souligne Julien Rousseau. Qui plus est, il s’agit d’un pari intéressant dans un contexte, celui du luxe et de la mode, où ce sont généralement les marques qui imposent la signature visuelle à l’écrin qui les accueille.

« Le traitement extérieur a donc été pensé comme celui d’un objet précieux qui attire les regards, et dont l’étoffe simple mais élégante viendrait onduler dans le tissu urbain ». Une allégorie conceptuelle qui n’est pas sans faire référence à l’univers de la mode et du luxe qui conditionne l’avenue. L’idée originale d’une maille en porcelaine s’est assez vite imposée.
Le choix inattendu de ce matériau a en fait apporté autant de réponses satisfaisantes aux contraintes imposées par le projet : un caractère intemporel, une capacité de réflexion très singulière, une quasi non-altérité dans le temps, un entretien simplifié, bien sûr l’expression d’un savoir-faire d’excellence à la française et enfin l’ambition d’innover.

La façade existante s’est ainsi retrouvée habillée d’une multitude de picots en porcelaine qui forment une trame à la texture surprenante et à l’impact visuel marquant. L’objet de 25 cm de long multiplié par milliers, plus exactement 35 000 pour les deux façades, et agencé en rang serré, forme ainsi un épais manteau qui fait dialoguer la matérialité et les époques, la sobriété contemporaine et l’ornement classique, la réflexion scintillante et la minéralité mate, la composition fibreuse et pixellisée des picots et la surface unie de la pierre…
Capable de prendre la lumière comme aucun autre, ce revêtement fait vibrer la surface du bâtiment et lui donne vie par des nuances changeantes tout au long de la journée. Il intensifie sa visibilité et, associé à la force iconique du portique, lui confère une identité intemporelle parmi la grande diversité architecturale de l’avenue.
De son intention à sa réalisation, cette nouvelle « peau » a évidemment fait l’objet de multiples recherches et expérimentations visant à valider cette mise en œuvre pour le moins inédite. La fabrication du fameux élément en porcelaine a ainsi été confiée à la Manufacture Bernardaud dont le savoir-faire « made in France » et l’expertise du matériau ne sont plus à démontrer. Le bureau d’ingénierie Bollinger+Grohmann, missionné pour les questions structurelles du bâtiment a, quant à lui, solutionné les modalités de fixation mais aussi apporté toutes les réponses techniques liées aux contingences qu’impose l’usage d’un tel matériau en extérieur, mais plus encore dans l’espace public.

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Extérieurs et intérieurs en cohérence

Forte de ce dessin pour la façade, la proposition architecturale pour la réhabilitation du bâtiment a convaincu la société Dolce & Gabbana dès 2017 de devenir le preneur de l’adresse. Faut-il préciser que la marque italienne occupait les espaces sur rue du 54 Montaigne jusqu’au rachat du site par The Olayan Group ? Cette fois-ci, c’est en locataire de la totalité du site que Dolce & Gabbana a souhaité revenir. Et séduite par l’intention conceptuelle et visuelle du traitement des extérieurs, la maison de couture va faire confiance à l’équipe d’architectes Rousseau Dapelo, société créée par Julien Rousseau et Giovanna Dapelo, pour qu’elle lui propose « C’est en fait une émanation de FRESH architectures, plus spécialement dédiée aux projets d’aménagements intérieurs, qui a pris en charge ce dossier cette fois-ci commandité par Dolce & Gabbana », explique Julien Rousseau.

Cette prise de décision de la part de Dolce & Gabbana, arrivée très tôt dans le processus de refonte du site, va permettre aux architectes de travailler très en amont de la mise en œuvre intérieure. Mais, surtout, elle va permettre de développer une approche répondant parfaitement aux besoins pratiques et aux exigences stylistiques de la marque en même temps que de s’inscrire en continuité avec la logique du redéploiement architectural.

Ainsi les souhaits exprimés par Dolce & Gabbana de ramener l’esprit de la ville et du pays dans le projet d’aménagement, tout en le combinant avec des valeurs italiennes, vont être gérés main dans la main avec les équipes du département « Stores & Properties » de la marque pour que chaque choix se trouve en adéquation avec les options prises pour le bâtiment. La présence de la pierre de Bourgogne et de la porcelaine permettant de garnir certaines surfaces « touchables » (main courante, ceintres…) du palissandre dont le vinage est disposé de biais pour générer une dynamique dans l’espace, ainsi que de deux qualités de marbre italien pour les sols… va composer le savant métissage de l’agencement. Au-delà de ces éléments propres au décor, la mission va également prendre en compte les problématiques de circulation dans l’espace, celle des visiteurs comme des personnels, l’ergonomie du mobilier intégré ainsi que l’impact du parcours sur l’acte d’achat. « Mettre en scène un commerce d’exception revient en fait à raconter une histoire chargée d’émotions. Elle se doit d’être cohérente depuis la façade, à travers les trois niveaux de boutiques ouverts au large public comme dans les trois niveaux de salons privés destinés à accueillir une clientèle d’exception, jusque dans le cas présent aux espaces situés en extérieur. Il s’agit bel et bien de délivrer une expérience multiculturelle dont l’impact doit être quasi immédiat », souligne Giovanna Dapelo.

Aujourd’hui, le 54 Montaigne abrite sans aucun doute le plus grand flagship de luxe de l’avenue. Sa silhouette, qui conjugue à la fois atemporalité, innovation et discrétion, marque non seulement dès le premier regard, mais augure le redéploiement opéré à l’intérieur du bâtiment. Il est en effet rare que traitements extérieurs, préconisations structurelles et agencements intérieurs s’articulent de manière aussi logique que dans ce projet. Cet exemple d’une même et seule signature architecturale, évidemment en étroite collaboration avec les différentes parties prenantes, a tout pour s’imposer comme un modèle pour le secteur du retail toujours