« Plutôt souffrir que mourir, c’est la devise des hommes. » C’est ainsi que La Fontaine conclut La Mort et le Bûcheron. L’homme, qu’une vie de dur labeur n’a pas épargné, préfère, par lâcheté dira-t-on, une souffrance certaine à une mort libératrice. Telle est peut-être notre condition d’être humain, d’être limité, fiévreux, accroché à la vie comme un naufragé à un radeau. Mais à bien y regarder, le bûcheron ne serait-il pas au contraire la figure du courageux, celui qui préfère vivre à en périr, plutôt que consentir à la mort, et le bois ne serait-il pas l’instrument de sa torture en même temps que le signe de sa liberté de dire oui à la vie ? Petit-fils de pépiniériste, je ne peux m’empêcher de choisir la seconde interprétation. J’ai depuis toujours nourri un rapport intime au bois, plantant chaque année des arbres d’essences rares et endémiques dans ma maison normande.
Dans mon travail avant tout, j’habite autant le bois que je me laisse habiter par lui. Rien n’est plus humain, rien n’est plus humainement vivant que le bois. Le veinage qui le compose fait miroir au réseau sanguin qui irrigue le corps humain. En outre, il est aujourd’hui scientifiquement prouvé que les arbres communiquent entre eux grâce à un langage qui leur est propre. Il n’est pas étonnant, enfin, que, de « la langue » à « la gueule de bois », en passant par « montrer de quel bois on se chauffe », notre langage soit fleuri d’expressions boisées. Quand je me confronte à lui, il est noblesse et énergie, support de mille applications techniques et culturelles ; tout en imposant une personnalité forte avec laquelle je compose, je danse.
De ces danses est née la table Temple. Il représente, à l’image de son bois, la richesse du tao, le tao incarnant la fusion des contraires à un degré supérieur de conscience. Le bois est la matière taoïste par excellence, dans son inertie yin et sa chaleur yang. Cet objet personnifie la maîtrise absolue du geste, celle des maîtres japonais et de l’artisanat d’art français. Dans son concept, la forme est pure, primaire, tout en revendiquant une texture et une teinture au summum du raffinement artistique. Quant à la matière, j’ai choisi le chêne, rustique, essence française éternelle, et l’ai conjugué avec une encre pour réaliser la patine, comme une écriture poétique, calligraphique, qui pourrait s’effacer, fragile et éphémère.
De ce dialogue entre la main et la matière bois, a aussi émergé Urban Cabin. J’ai conçu ces 8 mètres carrés comme une enveloppe charnelle de bois, dans une interaction féconde entre la micro-architecture et le maxi-meuble. Dans un tel espace, le design découle de la nécessité ; la forme s’oublie face à l’usage. Aussi, dans cette quête d’essentiel, le bois s’est imposé. La Cabin est exposée au nord, le bois vient en sus réchauffer la froideur du ciel gris des toits parisiens. Le bois, comme l’arbre, est liaison entre la terre et le monde céleste, entre l’ici pratique et l’ailleurs poétique, un lien tendu entre deux antagonismes.
Pour conclure, je soutiens une approche poétique, au sens lyrique et au sens le plus pur, le plus étymologique – poiein en grec signifie produire – de l’existence. Le bois est le véhicule singulier de cette approche ; par la main et l’esprit, on peut parachever la vie du bois, ce matériau si vivant déjà, non pas en singeant l’œuvre de la nature, mais en visant à continuer son processus de création, naturellement, sans effort, ancré dans les enjeux de notre temps. Je tends donc à concevoir un art de vivre qui est un art de l’essentiel. C’est le seul moyen d’ériger le design en un vecteur de durabilité.