Noccio, restaurant italien, Okko Hôtels Paris La Défense, Mur.Mur, Nanterre, 2022 • © Yvan Moreau
Depuis maintenant une quinzaine d’années, c’est un duo qui multiplie les projets, se démarquant par des créations hétéroclites. Fondé par Lucie Rosenblatt et Benoît Huen, Mur.Mur est avant tout le fruit d’un coup de foudre créatif. C’est sur les bancs de l’école d’architecture qu’ils se rencontrent, se retrouvant immédiatement dans leur approche, leur rigueur, leur vision. Après s’être perdus de vue, exerçant tous deux le métier d’architectes – Benoît possède également une formation en architecture d’intérieur –, ils se retrouvent, presque par magie. Un désir de travailler ensemble les anime, et Mur.Mur prend alors forme. Lucie, avec qui nous avons pu échanger, nous le rappelle : si aujourd’hui ils sont célèbres pour les intérieurs à l’ADN prononcé qu’ils réalisent, ils sont tous deux architectes avant tout. « Nous ne voyons pas de séparation entre l’architecture et l’architecture d’intérieur. Lorsque nous imaginons un espace, sa structure nous inspire. Notre vision est également celle d’un urbaniste d’une certaine manière. Nous cherchons à attirer le passant depuis la rue, à l’entraîner à l’intérieur à l’aide de la perspective pour découvrir une scénographie et un univers toujours différent », raconte Lucie. Parmi leurs projets, de nombreux restaurants et corners street food, tels que Halo, Dizen, ou encore les boulangeries Union, se démarquent par des esthétiques d’une grande diversité. Pour aboutir à la création de ces univers pluriels, la matérialité se place au centre du travail du duo Mur.Mur. Moyen d’expression à part entière, elle se joue des contrastes et des éléments de surprise pour mettre en valeur l’héritage passé d’un espace, mais aussi son présent, et son futur.
Quand nous demandons à Lucie Rosenblatt de définir l’ADN de Mur.Mur, la matérialité lui vient immédiatement en tête, s’associant à l’exigence, la sobriété, ou encore la durabilité. « La matière est centrale dans nos créations. Elle est essentielle à la conception d’une esthétique, d’une atmosphère », précise-t-elle. Pour les deux créateurs, l’articulation de leurs projets architecturaux prend son point de départ dans cet élément. Leur marque de fabrique ? Travailler avec une matériauthèque réduite, n’incluant souvent que trois matériaux principaux. Une manière pour les créatifs d’aller droit au but, pour reprendre leurs mots, et de créer du contraste. Exemple dans leur dernier projet en date, le restaurant Halo, caché derrière une boutique, où trois matières ressortent des lieux : la laine, sous forme de moquette et de lourds rideaux, le marbre, et l’acier. « La notion de contraste est centrale à notre travail. Nous aimons opposer les matières chaudes, marquées de la main de l’homme, imparfaites, telle que la chaux, à des matières plus froides, industrielles, à l’image de l’inox, du miroir. C’est ce que nous avons fait chez Halo. La moquette verte s’oppose au mobilier réfléchissant que nous avons dessiné. Le marbre des tables du restaurant contraste, lui, avec les chaises que nous avons chinées à Saint-Ouen », commente Lucie.
Une matériauthèque réduite, mais aussi plus réfléchie. Pour le duo Mur.Mur, il est impossible de créer en 2024 sans garder à l’esprit la notion de durabilité. Pour remplacer la peinture, ils emploient la chaux, imparfaite et aux finitions diverses, se démarquant également par sa capacité à absorber le CO2. Un filtre actuel qui vient rencontrer une vision beaucoup plus ancestrale. Car si l’esthétique de Mur.Mur se veut contemporaine, certains diraient punk, la clientèle du studio étant majoritairement composée de trentenaires, l’histoire est omniprésente dans ses projets. Encore une fois, c’est en partie à travers le choix des matériaux qu’elle se manifeste : « Des matières telles que la chaux, la terre, font appel à une mémoire universelle », explique Lucie.
Difficile de définir le travail de Mur.Mur en un seul mot. La variété de ses projets, de ses esthétiques, des identités des marques faisant appel à leur service, est peut-être ce qui reflète le mieux leur travail. Depuis leurs études, la recherche les fascine. En tant qu’architectes, leur premier geste en pénétrant dans un lieu est de sonder son histoire. Ils cherchent alors à trouver quelle était sa fonction passée. Ils décollent les papiers peints, grattent les plâtres. L’osmose des temporalités est centrale au travail du studio. Dans plusieurs de ses projets, à l’image de la première boulangerie Liberté, il y a 10 ans, Halo ou encore Union, les murs sont mis à nu. Pas de peinture pour recouvrir les traces du passé, mais à l’inverse leur valorisation. « Lorsque l’on pénètre dans un restaurant, une boulangerie, et que l’on voit sur les murs une trace de peinture, un éclat dans le plâtre, une magie se dégage de cela. C’est l’histoire d’un bâtiment, l’histoire de Paris aussi en quelque sorte, qui est écrite sur les murs. »
Dans certains projets, comme pour la première boulangerie Liberté, des surprises se révèlent. Ici, des carreaux peints au plafond ont été découverts et mis en valeur dans la nouvelle architecture. Chez Halo, c’est la verrière qui a fait l’objet de toute leur attention. Restaurée, elle permet de conserver l’âme du bâtiment, de le garder dans son jus, d’une certaine façon. Encore une fois ici, la notion de contraste se fait alors capitale dans cette réunion entre passé, présent et futur. Toujours chez Halo, le mobilier ultracontemporain en acier inoxydable vient s’opposer aux murs ici laissés à nu, faisant entrer en dialogue l’histoire des lieux et celle qui s’écrit aujourd’hui.
Le dernier pan de l’ADN pluriel de Mur.Mur réside sans équivoque dans son amour du silence. La plupart de ses espaces se caractérisent par un certain dépouillement, une sobriété. Les accents sont alors conférés par la matière, sa texture, sa couleur, sa finition. « Benoît et moi partageons cette volonté d’imposer un rythme à notre architecture. Et cela implique également des silences, mais aussi des perspectives. Notre vision est celle d’architectes, nous souhaitons créer une fluidité. Certains qualifient notre vision de punk, mais en réalité c’est dans notre nuance, notre désir de ne pas trop en faire, de ne pas en rajouter, que se manifeste notre radicalité. La matière est instrumentale à cela, elle confère son identité, son âme, à l’espace ».