Lila, Penique Productions, MACBA, Barcelone, 2024 • © Penique Productions
Tout commence aux Beaux-Arts de Barcelone. Sergi Arbusà Amorós, alors étudiant, doit rendre un projet. Face à la page blanche et en écoutant les idées élaborées de ses camarades, il fait preuve d’audace. « Je gonflerai un ballon dans la classe et personne ne pourra entrer et présenter de projet », raconte-t-il. Le jeune catalan ne se doutait pas que 17 ans plus tard, ses globos (ballons en espagnol) deviendraient le cœur de son travail. Déterminé à donner vie à ses paroles, Sergi explore les possibilités créatives avec du plastique, du ruban adhésif et un ventilateur. Les premiers essais le convainquent. Avec le ventilateur positionné dans l’ouverture d’un vaste élément en plastique, ce dernier se gonfle jusqu’à envahir la totalité de l’espace. Puis, une idée germe : et s’il était possible d’entrer dans le ballon ? Il tente alors l’expérience et s’introduit dans le ballon. « Découvrir l’intérieur a changé ma conception du projet. Il est plus intéressant de transformer et de s’approprier l’espace que de simplement l’occuper avec un volume d’air », explique-t-il. Cette découverte imprévue – ou par sérendipité comme Sergi l’appelle – change complètement la trajectoire de son projet. Au lieu d’occuper l’espace sans permettre l’accès aux gens, il fait l’inverse et invite les personnes à découvrir l’intérieur. Si son projet universitaire est un succès, Sergi ne s’y consacre pas immédiatement. Ce n’est que quelques années plus tard, à nouveau par le fruit du hasard, qu’il entame l’exploration de ce concept. Ainsi naît Penique Productions.
« Je ne m’intéressais pas seulement à la structure gonflable, mais aussi à sa relation avec l’architecture. L’espace devient l’œuvre et l’œuvre devient l’espace », confie Sergi. Au fil de ses explorations et de ses projets, il développe un intérêt grandissant pour cette interaction entre le lieu et son installation. Inspiré par des espaces à l’architecture presque sculpturale, il se rapproche de la démarche de Christo et Jeanne-Claude. « Quelques mois avant mon premier projet de ballon, le duo était venu à l’université pour une conférence. Je ne connaissais pas leur travail et je suis convaincu que ce moment est resté dans mon esprit », raconte-t-il. La référence se fait ressentir. Alors que le couple d’artistes recouvrait l’extérieur des éléments, Sergi recouvre l’espace intérieur mais dans cette même volonté de rendre objet ce qui ne l’est pas. Une façon de travailler qui lui vaut le surnom de l’Anti-Christo, « pour ma grande joie », confie-t-il.
Le matériau joue un rôle primordial dans les projets de Penique Productions. Cherchant des espaces à l’architecture marquée, Sergi veut offrir une nouvelle perception des volumes avec ses globos. Ils deviennent une seconde peau qui transforme l’espace en jouant sur le plein et le vide. « Je m’intéresse à l’unification de l’espace, ce qui passe par la texture et la couleur également », dit-il. Le polyéthylène basse densité, souvent utilisé pour les sacs-poubelle, est son matériau de prédilection. Sergi apprécie ses caractéristiques et surtout sa symbolique. Dans ses projets, la monochromie est de mise. « Nous ne changeons donc pas de couleur, car cela n’a jamais été justifié à nos yeux. » Cependant, l’installation pour le défilé de Louis Vuitton à Paris en octobre dernier marque une première exception.
En collaboration avec le directeur artistique James Chinlund, Penique Productions imagine l’un de ses plus grands ballons gonflables, aux deux tonalités d’orange, plongeant le spectateur dans une ambiance chaleureuse évoquant la lumière du soleil d’été. « C’est la première fois que nous travaillons avec deux couleurs, car nous ne trouvions pas la teinte idéale. La texture, brillante, irrégulière et disloquée, ajoute une nouvelle dimension au projet. » C’est vers la texture, plus que vers la couleur, qu’il souhaite se tourner, envisageant d’explorer des motifs plus audacieux, comme des rayures, des carrés ou même des motifs zébrés.
Penique Productions crée des installations éphémères, et bien que l’utilisation du plastique puisse sembler inappropriée à l’ère de sa surconsommation, c’est cette symbolique qui intéresse Sergi. « Le plastique que nous utilisons est 100 % recyclé et nous le remettons dans le circuit de recyclage après utilisation. » Depuis peu, l’agence en fait une autre transformation. Après chaque installation, le ballon est fondu puis pressé pour en faire des tableaux, présentés ensuite dans des galeries d’art. Car l’ambition de Sergi est de continuer à créer ses expériences avec le plus de liberté possible, tout en choisissant les espaces inspirants pour y installer ses globos. « L’intention de ces souvenirs, ces vestiges de l’expérience, est de les capitaliser pour nous permettre de générer de nouvelles œuvres et de faire les ballons où nous souhaitons », raconte-t-il. Ce cercle vertueux rappelle à nouveau le duo Christo et Jeanne-Claude. Alors que ces derniers s’autofinançaient en vendant les esquisses et croquis de leurs œuvres, Sergi prend le chemin inverse, vendant les vestiges de ses installations.
Chaque projet amène son lot de découvertes, d’expériences et de collaborations qui font évoluer Penique Productions. Après une première collaboration avec le metteur en scène brésilien Gustavo Gelmini au 104 à Paris, l’agence poursuit cette collaboration pour la saison France-Brésil en 2025, avec des présentations prévues à Rio de Janeiro et à Paris, au palais de Chaillot. Un espace à l’architecture marquée qui promet un véritable défi.