Tissage métallique, LcD Textile Edition • © L’Appart
Serait-ce l’influence du numérique qui projette des ondes magnétiques sur la création textile contemporaine ? Si artisans, artistes et designers textiles ont saisi le potentiel esthétique de la technologie pour imaginer des tissages modernistes, leur portée n’a rien à envier aux effets générés par l’IA. Nées du geste de la main et d’esprits audacieux, leurs créations mêlant fibres textiles et fils métalliques illustrent à merveille l’ambivalence entre tradition et innovation.
Adeline Halot prélève dans la nature des fragments de roches, d’écorces et de champignons dès son plus jeune âge. Elle réalise plus tard que déjà, elle nourrissait un fort attrait pour la matière. Aujourd’hui, c’est dans son atelier sis dans une ancienne friche industrielle aux portes de Bruxelles, qu’elle traduit textures, couleurs et images archivées telles des curiosités à l’aide de métiers à tisser traditionnels.
Diplômée de Saint-Luc en architecture intérieure, elle accède directement à la deuxième année de design textile à La Cambre. Cette première année manquée marque un tournant décisif. Sans apprentissage des techniques de base du tissage, Adeline Halot expérimente le lin, l’inox, le cuivre et le laiton bruts sur une chaîne de polyamide ou de nylon. Elle manie jusqu’à quatorze navettes de compositions diverses. Des mariages insolites qui défient la tension entre fils innovants et fils traditionnels.
Ses tissages brouillent la frontière entre art et artisanat. Adeline Halot crée des matières structurantes de A à Z qui servent d’ossature à ses sculptures aériennes. Un processus empirique guidé par les gestes et les réactions de la matière. Un dixième de millimètre de diamètre en moins sur un fil, et tout l’ouvrage s’en trouve impacté. Sous haute tension, les fils métalliques se teintent de la douceur végétale du lin, formant naturellement des surfaces froissées, crispées ou rétractées.
Ses créations s’animent avec les courants d’air et la lumière. Les projections de reflets mordorés ou de mystérieuses ombres portées invitent à percevoir l’invisible, entre opacité et translucidité. Un spectacle qui fluctue selon les heures de la journée, invitant à la contemplation et la méditation, à l’instar de son bas-relief de huit mètres qui flotte sur les eaux d’une piscine, faisant jaillir la lumière.
Des volumes architecturés aux dimensions hors normes qui électrisent d’autres formes d’expression artistique.
Avec une forte appétence pour le monde culinaire, Adeline Halot a eu carte blanche pour imaginer une installation lors d’un événement de gastronomie expérimentale célébrant les 100 ans de l’agriculture biodynamique au Goetheanum près de Bâle. Un défi à la mesure du lieu, classé monument historique, accueillant en son foyer une table de 20 mètres et la crème des chefs. Cet automne, elle expose au sein de la galerie Salon 94 à New York, dans un hôtel particulier tout juste rénové, face au Guggenheim.
Les sollicitations se succèdent et évoluent de l’architecture à l’art.
« Firmitas, utilitas, venustas ». Formée selon les préceptes constitutifs de l’architecture, tels que décrits par Vitruve, Cécile Gray a mûri avec cette idée que « durabilité, fonctionnalité et beauté » sont indissociables dès lors que l’on dessine un projet destiné à être utilisé ou porté.
Architecte reconvertie au stylisme, la créatrice française a développé une technique d’orfèvre à nulle autre pareille. Avec un câble métallique pour fil conducteur, elle tisse des habits de lumière sertis de perles à écraser. Résilles et cottes de mailles d’un nouveau genre déploient un univers multifacette entre textile, bijouterie et objets décoratifs. Des pièces sur mesure, parfaitement fonctionnelles, confectionnées à la main, à force de patience, de détermination et d’excellence, parfois au terme de plusieurs années.
Transparentes et très présentes à la fois, souples, mais autoportantes, très travaillées et pourtant d’une grande sobriété, ses créations sont le fruit d’expérimentations successives, dans un dialogue constant avec la matière et l’hybridation de savoir-faire traditionnels : vannerie, bijouterie, tissage et broderie. Détournés de leur application première, les matériaux se révèlent sous un autre jour. Telle la maille dorée tressée en panier, à partir de muselets de champagne recyclés, pour la maison Ruinart ou les écrins-bijoux de parfums.
« Matrix ». Le nom de ses créations textiles intrigue autant qu’il invite à suivre la matrice des fils qui les composent. Parti d’une expérience sur l’oxydation du cuivre, Luc Druez a trouvé le moyen de reproduire ses variations chromatiques sur des tissages à grande échelle. Pour imiter ce phénomène, il a fait modifier les métiers à tisser traditionnels afin qu’ils puissent supporter la force des fils métalliques.
Galvanisé par la forte demande de textiles d’exception pour habiller les temples du luxe, le designer textile multiplie les pistes créatives, notamment par l’introduction de fils colorés. Plutôt que de chercher à stabiliser les effets de l’oxydation, influencée par le taux de pH dans l’air, il poursuit ses recherches et teste de nouveaux pigments tout en restant fidèle à sa matière de prédilection.
Avec une palette de dix-sept fils de cuivre émaillés de différentes couleurs, son studio de création, LcD Textile Edition, réinvente toutes les nuances imaginables pour transcender l’aspect du métal. Paré de rouge, le cuivre s’apparente à la laque. Revêtu de noir, il prend les atours de la bakélite - vernis mat. Patiné de turquoise, il fait écho à l’oxydation. Brillant, il attire le regard comme les profondeurs d’un miroir. Ses algorithmes de couleurs et d’effets d’une intensité rare vibrent au gré de la lumière et troublent la perception de la réalité pour mieux révéler l’imaginaire singulier autour d’une marque.
Cabinet d’ingénierie à la croisée des manufactures patrimoniales et des industries de pointe, LcD Textile Edition est devenu l’interlocuteur privilégié des architectes de renom, notamment Peter Marino pour Louis Vuitton, et des grandes maisons de joaillerie telles que Cartier, reconnue également pour ses lignes entrelacées. Pour cette dernière, le studio belge a contribué au renouveau du 13, rue de la Paix, son écrin historique, et en particulier à l’habillage du salon Cocteau, nimbé de bleu nuit.
Au fil du temps, Luc Druez a noué des relations solides avec ses partenaires, grâce auxquels il met au point des textiles exclusifs aux couleurs des grandes maisons. Des petites manufactures du nord de la France et de Belgique, qui ont su tirer parti des évolutions en se spécialisant sur des savoir-faire uniques, et ont eu l’audace de tisser des fils hautement techniques détournés des équipementiers aéronautiques ou du génie civil.
Gainé d’émail protecteur, le fil de cuivre répond avec pertinence aux normes de sécurité et de durabilité. Les commanditaires plébiscitent ses propriétés ignifuges, sa résistance aux UV et à l’eau salée, particulièrement adaptées pour l’aménagement de yachts, hôtels et autres lieux réservés à l’accueil du public. Espérons qu’entre ces murs, clients et visiteurs prendront le temps d’apprécier l’origine et la confection de ces matières, les observant sous toutes les lumières afin de décoder toute leur puissance esthétique.