La matière fait sa révolution de palais

Villa Médicis

Par Virginie Chuimer-Layen

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Réenchanter la Villa Médicis, salon Bleu • © Daniele Molajoli

Sur la colline du Pincio, le splendide édifice médicéen qui abrite, depuis 1803, l’Académie de France à Rome, a connu de nombreuses directions, dont certaines ont laissé leur empreinte. Toutefois, il y a encore quelques années, la Villa Médicis semblait figée dans sa gangue historique, « manquant d’agilité et de mobilité ». Depuis 2022, elle se révèle plus active que jamais, notamment à travers un projet de réaménagement de ses espaces, institué par le directeur actuel, Sam Stourdzé, où les formes et les matières nouvelles « réenchantent » ses murs. Des matières également au cœur d’un modèle inédit de résidence, destinée, entre autres, à certains lycées professionnels qui les enseignent. Découverte.

Afin d’impulser un nouveau souffle à « cette belle endormie », Sam Stourdzé, ex-pensionnaire 2007-2008 et ancien directeur des Rencontres de la photographie d’Arles, a imaginé un projet de grande ampleur où, entre 2022 et 2025, des designers contemporains interviennent en dialoguant avec le patrimoine existant. Articulé en trois chapitres, le « réenchantement » de la Villa a donc été confié à Silvia Venturini Fendi, à la tête de la maison familiale italienne Fendi, et Kim Jones, son directeur artistique Couture et Collections Prêt-à-Porter Femme, pour le réaménagement des salons de réception, alors que celui des chambres historiques, à l’architecte-designeuse et scénographe India Mahdavi. Quant aux chambres d’hôtes ou « chambres de la passerelle », livrées d’ici 2025, elles sont repensées par des duos de designers-architectes et des artisans d’art.

La matière, outil de réinvention de l’édifice

« Les matériaux ont toujours été au cœur de notre ADN, souligne Francesca Alberti, directrice du département d‘histoire de l’art de l’institution. Trouvant que le bâti avait l’allure d’une caserne, le peintre et directeur Balthus décida, en 1961, d’enlever les badigeons vieillissants pour créer du faux travertin peint, à la vibrante patine, et réinsuffler un esprit Renaissance au bâti. Il acheta aussi du mobilier rustique qu’il se mit à repeindre. Entre 2002 et 2008, le designer Richard Peduzzi, à la tête de l’institution, créa également des meubles et luminaires sobres, s’harmonisant avec les travaux de Balthus. » À son arrivée, en mars 2020, Sam Stourdzé découvre pourtant une architecture aux espaces souvent vides, agrémentés parfois de meubles obsolètes. Il pense alors à bâtir un projet destiné à la repenser à l’aune de la création contemporaine. Dans les six salons d’apparat du rez-de-jardin, Silvia Venturini et Kim Jones ont collaboré avec des designers pour la conception du mobilier. En partenariat avec le Mobilier national qui y a déposé des tapisseries modernes et contemporaines de grandes signatures, leurs réalisations s’harmonisent avec l’esprit du lieu. Dans le petit salon, les tables Astuccio Canes, tout en rondeur et cannes de bambou, de Chiara Andreatti, dialoguent avec les lignes et tonalités douces de Sandia, canapés modulaires de Toan Nguyen, et d’Ava-Screen, paravent en écorce de roseau et noyer, de David Lopez Quincoces. Plus loin, dans le salon bleu, les tables en travertin Via Appia de Noé Duchaufour-Lawrance, dont la forme rappelle celle des pavés de la voie romaine, mettent en avant les tapisseries du Mobilier national, meubles de Balthus ou lampes de Peduzzi, restaurés pour l’occasion. Partout, le bois, le velours, le marbre, sublimés par des formes design, se fondent dans le décorum palatial, comme le chromatisme de la laine recyclée et teinte des tapis de Fendi et Jones s’accorde avec celui des patines murales de toutes les pièces.
En 2023, ce sont les étages nobles, dont les somptueux appartements du cardinal Ferdinand de Médicis (chambre des Muses, chambre des Amours de Jupiter, et chambre des Éléments), mais aussi deux chambres d’hôtes (chambres Debussy et Galilée) et le salon Lili Boulanger, qui sont repensés par India Mahdavi. Emblématiques de son style, ses meubles aux coloris joyeux et formes géométriques, participent à redynamiser l’ensemble. « Avec le soutien de la Fondation Bettencourt Schueller et la collaboration du Mobilier national », souligne encore Francesca Alberti, la créatrice a rhabillé du mobilier de la Villa, en le recouvrant de tissu de son choix, en accord avec le patrimoine préexistant. Travaillant avec des restaurateurs, tapissiers, ébénistes et autres corps de métiers, elle étudia avec attention le rapport entre les espaces intérieurs et l’extérieur, en imaginant des meubles, des tapis, dont les tons et la grammaire formelle s’accordent avec les jardins ou les murs intérieurs. Elle y posa aussi certaines de ses créations, comme son célèbre tabouret Bishop, de 1999, rhabillé pour l’occasion des couleurs de la maison.

Enfin, la réinvention des chambres dites « de la passerelle » par des designers-architectes-artistes en duo avec des artisans d’art, vient compléter la politique de « réenchantement » des lieux. Pour exemple, l’agence de design Gaëlle Gabillet et Stéphane Villard, du Studio GGSV, a travaillé avec l’entreprise Paper Factor et le peintre décorateur Matthieu Lemarié pour réaliser Camera Fantasia, une chambre au sein de laquelle la pulpe de papier sort de ses codes habituels.

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Résidence pro, la matière comme outil social

La matière se retrouve également au cœur de résidences d’un genre nouveau. Au-delà de celles d’un à deux mois, dédiées, entre autres, aux métiers d’art, Résidence pro est un dispositif inédit invitant des lycéens d’établissements professionnels d’une même région, spécialisés dans certaines filières artisanales et agricoles, à venir expérimenter la Villa pendant une semaine. Après une première édition, en 2022, qui a accueilli trois-cent élèves de la filière bois de la Région Nouvelle-Aquitaine, la Villa s’est, en 2023, associée aux territoires du Grand Est et de Provence-Alpes-Côte d’Azur, pour faire venir cinq-cent lycéens de vinqt-quatre établissements explorant des techniques et savoirs, comme notamment la verrerie ou le textile. « Pour ces lycéens, c’est une expérience inoubliable dans un lieu provoquant un effet de sidération, par sa beauté et son prestige, renchérit le directeur. Résidence pro leur permet d’assister à des ateliers d’expérimentation, de rencontrer professionnels et artistes en résidence, comme de visiter la ville, autour des œuvres étudiées. »

Sous les ors de la République, la matière a-t-elle donc des vertus insoupçonnées ? Non seulement, elle impulse une énergie neuve à cet emblème de l’excellence française, par la nouvelle lecture de ses espaces intérieurs, mais elle en démocratise aussi l’accès, en l’ouvrant à de nouveaux publics. Autant d’actions qui lui permettent de renforcer son image d’institution sociale, agile, ouverte aux missions de transmission et de partage.

par ordre d’apparition : Réenchanter la Villa Medicis, chambre d’hôte © Daniele Molajoli • Réenchanter la Villa Médicis, salon Bleu © Daniele Molajoli