Atteindre l’excellence sans attendre

Par Sandra Furlan

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S’il est communément acquis qu’il faut dix à quinze ans pour devenir un bon artisan, les nouvelles générations ont certes la patience du travail parfaitement exécuté, mais également grande hâte d’être légitime au regard d’un secteur.

Tout en se nourrissant avec humilité auprès des maîtres d’apprentissage, des enseignants et des mentors, ces artisans n’ont pas voulu attendre avant de faire reconnaître leur expertise. Ils et elles ont tous entre 30 et 40 ans, sont diplômés, souvent multirécompensés (Meilleurs Ouvriers de France, lauréats de différentes fondations privées, reconnus par des institutions, etc.) et ont choisi d’entreprendre avec exigence comme tout ce qui touche aux savoir-faire rares.

Toutes et tous vous le diront : aller chercher les titres et les prix, c’est mettre à l’épreuve de la rigueur et de l’abnégation leur corps et leur esprit. Ces défis personnels dessinent surtout une manière d’atteindre la perfection d’une nouvelle forme, l’inédit dans la ligne, l’audace d’une nouvelle matière. Comme l’affirme Manon Bouvier, fondatrice de l’atelier de marqueterie de paille PAELIS, devenue M.O.F. à 26 ans et plus récemment lauréate du Prix des Artisanes : « Quand l’objectif perpétuel est de s’améliorer et d’innover, ça marche ! » Cette sorte d’aphorisme s’illustre dans son parcours par l’embauche d’un quatrième, et peut-être cinquième, salarié à l’automne.

Par crainte ou par amertume, les générations précédentes leur ont répété à quel point il était difficile de trouver un emploi dans le secteur, qu’il était impossible d’évoluer en entreprise, qu’il fallait être fou pour vouloir monter un atelier. Pourtant, ils ont fait preuve de pugnacité et ont choisi de prendre des risques rationnels pour pérenniser et renouveler leurs métiers. Que ce soit à l’atelier de Louis Monier, diplômé à 20 ans de l’École Boulle à Paris et M.O.F. Menuisier en sièges, ou à celui de Julien Vermeulen, plumassier, lauréat du Prix Liliane Bettencourt pour l’intelligence de la main à 33 ans, on considère qu’apporter une sécurité aux employés, c’est leur assurer les conditions d’une concentration optimale qui laisse s’épanouir créativité et agilité technique.
Pour construire une stratégie « du coup d’après », pour maintenir un esprit de coopération, ou peut-être en opposition au dogme établi, ils ont fait croître leurs entreprises, leur niveau d’activité, leurs savoir-faire aussi.

Si les métiers d’art représentent bien une opportunité économique d’avenir, l’excellence semble constituer l’ingrédient idéal pour transformer l’essai.
Les fondateurs de l’Atelier ST, Thibaut Bechecat et Pierre Tatin, ce dernier ayant fraîchement obtenu sa médaille et son col de Meilleur Ouvrier de France Maquettiste-cartonnier, en sont conscients : « Leur niveau d’excellence aujourd’hui est relatif à l’excellence dans l’absolu. » Chaque artisan et chaque créatrice révèle une personnalité intransigeante, mais qui se remet en question sans cesse. Ils se prouvent ainsi qu’ils sont capables de repousser leurs propres limites et celles de leur profession.

À l’heure du micro-entrepreneur, du créateur indépendant, de l’artiste isolé, cette nouvelle génération prouve que les ateliers doivent grandir sans concession pour transmettre dès maintenant, pour apporter aussi, et ce de manière permanente, de nouvelles idées, de nouvelles envies, de nouvelles manières d’approcher le geste et la matière.