Ces fragments d’air, de douceur, ces plumes et ses ors aux bordures des lèvres font basculer l’esprit dans une forme organique identifiable et ondulatoire, les sillons d’un disque qu’on aurait grossi mille fois, un Soulages inversé en blanc qui ferait apparaître les vibrations alentour. Il y a de l’eau dans ces terres cuites et brillantes, de l’eau d’autrefois, du temps prisonnier et des moments de sidération. Ce choc du hasard a poussé Dora Stanczel vers d’autres territoires. Elle se concentre sur cette chute dans la stratification et immerge dans son four à céramique des formes inattendues. En sortent des créa-tures qui relèvent de la sculpture, du verre torsadé, du coquillage et de la haute couture. Et puis cer-taines pièces se cassent, et puis certaines plongées dans le four se déroulent mal, et peu à peu ses mains découvrent d’autres voies à la matière, ses yeux tombent sur des données esthétiques nouvelles, no-tamment celles des pièges à lumière dans les anfractuosités des drapés.
Par cette quête esthétique, Dora Stanczel nous emmène sur un territoire inconnu de la porcelaine. Ces plis poétiques illuminant l’espace évoquent les tombés célébrés à travers les siècles et enfin libérés de leurs racines. Ces fragments de notre héritage plastique inconscient s’inscrivent ainsi dans la matière en offrant de l’espace au hasard. Au-delà de la maîtrise technique, ces imperfections inattendues sont au centre de son art. C’est une recherche constante de l’harmonie dont l’artiste parle ainsi : « J’aime apprivoiser la porcelaine avec un regard aiguisé : accepter la déformation, déclencher des erreurs, réuti-liser ce qui est jeté, réintégrer ce qui est cassé et ainsi détourner le processus technique. Je travaille avec les erreurs qui se produisent dans mon processus créatif : je les reproduis en façonnant un langage es-thétique basé sur la recherche de la limite de la matière. Je me concentre sur la perte de contrôle dans la fabrication. »
Il s’agit d’un processus dans lequel l’artisanat doit renforcer la collaboration avec la matière, remettant en question la frontière entre la maîtrise et le contrôle, la perfection et l’accident, le hasard et l’attendu. La nature de la porcelaine est fortement liée à la nature de l’accidentel. Ce matériau dont la réputation est d’être capricieux garde la mémoire de tout ce qui lui est arrivé avec une grande possibili-té de déformation. Lors de la transformation dans le four à haute température, tout deviendra visible et se figera dans la porcelaine. Pauline Male, la directrice de CRAFT, explique cette transformation comme étape ultime pour faire naître l’excellence : « La cuisson, dite de grand feu à 1 400° C et qui dure vingt-quatre heures, a pour but de vitrifier la pâte et l’émail de façon à développer la blancheur, la translucidité, la sonorité et la solidité de la porcelaine, c’est à la fois la dernière étape du processus de création et en même temps l’étape ultime pour faire naître l’excellence de la matière avec sa part d’inattendu. »
De cette recherche est née la collaboration entre Dora Stanczel et CRAFT (Centre de Recherche sur les Arts du Feu et de la Terre). Cet atelier invite des artistes – plasticiens, designers, architectes de re-nommée internationale –, à développer des projets à partir du matériau céramique. Au sein de ces ateliers et grâce à leurs talentueux techniciens, de gigantesques drapés de porcelaine vont se métamor-phoser sous l’effet du feu en tableaux vivants : Ode aux confins de la porcelaine.