Bioplastiques et impression 3D

Par Laurie Picout

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Impresionn de volume(s)

L’imprimante 3D relevait de la science-fiction il n’y a encore pas si longtemps ! L’écrivain britannique Arthur C. Clarke évoquait une « machine à répliquer » dans les années 1960, machine qui allait répliquer les objets comme on imprimait des livres. En 1972, dans le dessin animé Tintin et le Lac aux requins, le professeur Tournesol invente une photocopieuse tridimensionnelle qui pourrait fabri-
quer des répliques d’œuvres d’art. C’est finalement dans les années 1980 que la fiction devient réalité avec notamment le premier brevet de « fabrication additive » en 1984, déposé par trois Français ! Aux États-Unis, l’Américain Charles Hull développe la technique de stéréolithographie et invente le format de fichier STL, encore utilisé aujourd’hui pour échanger les fichiers 3D pour l’impression. Le principe est simple : l’impression 3D repose sur la modélisation de l’objet virtuel 3D en couches 2D de très fines épaisseurs, déposées une à une en les fixant sur les précédentes, ce qui reconstitue l’objet réel. Elle permet la fabrication de formes très complexes, sans préparation de moule, gabarit ni outillage. Les objets peuvent être imprimés en plastique, cire, métal, plâtre, céramique et même en verre. D’abord utilisée pour le prototypage, cette technique est aujourd’hui beaucoup plus répandue aussi bien dans l’industrie, l’aéronautique, la construction, l’armée, la pharmacie, l’alimentation ou encore la mode et le design. Le matériau le plus courant de l’impression 3D reste le plastique. Pour des raisons écologiques, les bioplastiques ont aujourd’hui le vent en poupe. Ils concernent les matières plastiques biosourcées – issues de la biomasse, et notamment des plantes – ou les matières plastiques biodégradables – donc compostables –, y compris celles issues de ressources fossiles (réactions pétrochimiques).

Faire forte impression

« Fabriqué à partir de ressources renouvelables telles que l’amidon de maïs, la canne à sucre ou encore la betterave, ce matériau thermoplastique se distingue par sa simplicité d’utilisation, sa faible toxicité et son faible retrait lors du refroidissement » indique le site de l’un des nombreux fabricants.

L’artiste française Audrey Large utilise des filaments PLA iridescents. Lorsqu’elle crée, Audrey Large dessine directement en 3D dans l’espace digital à l’aide d’un crayon et d’une tablette graphique afin d’obtenir un processus de modélisation « plus intuitif » que celui dit « paramétrique » : « Je ne commence pas par des points, des faces, des lignes, mais par la manipulation d’un matériau digital qui possède des propriétés similaires à celles de l’argile. Il me permet de créer des formes organiques et fluides, presque vivantes. Les formes portent le mouvement spontané de ma main ». Aujourd’hui installée à Rotterdam, elle poursuit ses recherches sur les limites de l’impression 3D en générant des sculptures aux allures d’objets du quotidien venus du futur. « Mes objets se situent toujours entre deux, on ne sait pas s’ils viennent du passé ou du futur, s’ils sont réels ou irréels, s’ils sont faits par la main de l’homme ou par la machine » révèle-t-elle. En 2021, elle reçoit un Dutch Design Award en tant que jeune talent, elle est l’une des artistes reconnues de la prestigieuse galerie de design Nilufar à Milan, et a eu la chance de présenter ses pièces lors de la Semaine du Design de Milan 2023. Des pièces aux noms évocateurs et mystérieux comme Scale to Infinity, Vase Metabowl, Celestial Proceedings, ou encore Sculpture A Bit of Fairy Dust, pour des objets qui poussent volontairement au questionnement et qui ne se révèlent pas tout de suite.

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Se fier à son impression

Pour la designer irlandaise Eimear Ryan, fondatrice d’Argot Studio à Paris en 2018, il est primordial d’être « aussi durable que possible » dans son activité. « Nous avons la chance que la communauté de l’impression 3D grandisse, ce qui nous permet de sourcer nos matériaux bio localement. Nous continuons à expérimenter avec de nouvelles formes et des mélanges intéressants de PLA, contribuant ainsi à l’innovation tout en restant respectueux de l’environnement » défend-elle avec conviction. Pour la fabrication de ses pièces, elle utilise exclusivement des matériaux d’origine biologique, mais va plus loin avec plus de 70 % de matière provenant du recyclage d’emballages alimentaires dans l’Union européenne, ce qui en fait un élément biodégradable dans un environnement contrôlé. La collection principale d’Argot se compose de vases, de sculptures et de récipients emblématiques, caractéristiques des silhouettes classiques du studio et dotés d’une fonctionnalité polyvalente. Par exemple, Double Vessel, Vase Soeurs, Ens Vase, ou bien Orgue Lamp, cherchent à créer un contraste en juxtaposant des formes architecturales brutalistes à celles, organiques, issues de la nature : « une fusion poétique entre austérité et grâce, offrant une invitation à explorer l’harmonie unique qui peut émerger de cette rencontre » explique Eimear Ryan. Pour cela, elle démarre chaque conception par un croquis à la main qu’elle importe dans un logiciel adapté à l’impression 3D, son expérience lui permettant aujourd’hui de maximiser le potentiel créatif. Au début de l’année 2022, Argot Studio a étendu sa pratique au milieu de la mode avec un projet d’impression 3D à grande échelle, en réalisant des textiles transparents et souples pour le défilé F/W 2022 de la maison de mode espagnole Loewe. Pour les objets comme pour le textile, la designer ne perd pas de vue que ses échecs peuvent être source de belles surprises : « Il est fascinant de repousser les limites des machines, car parfois les « erreurs » se transforment en éléments esthétiquement magnifiques ». Une pratique de designer qui repose sur un véritable lien entre la femme et la machine, où chacune se nourrit de l’autre.

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Ne pas laisser d’empreinte

Crafting plastics! est un studio de recherche en design basé à Bratislava et à Berlin, fondé par Vlasta Kubušová et Miroslav Král. La pratique du studio concentre son expertise sur la recherche interdisciplinaire, le développement et la mise en œuvre de nouvelles générations de meilleurs biocomposites écologiques dans notre vie quotidienne actuelle et future. « Nous explorons de nouvelles façons de développer des produits, de l’approche artisanale de base aux machines de haute technologie. Notre objectif est de contrôler totalement la durée de vie du produit, depuis son origine – sous forme de matériau non raffiné – en passant par le produit final jusqu’à son inévitable dégradation » indiquent les deux designers. Ils ont même collaboré à développer Nuatan®, un produit fabriqué à partir d’une nouvelle génération de matériaux bioplastiques, à la fois biosourcés, composés à 100 % de biopolymères végétaux produits à partir de ressources végétales renouvelables, biodégradables et ne laissant aucun microplastique derrière eux, et ne contribuant pas non plus au réchauffement climatique. Vlasta Kubušová et Miroslav Král ont imaginé une série de vases, sobrement appelés Vase 07, Vase 08, etc., dont la collection « 12 » interroge « la capacité des nouvelles technologies à créer une impression d’objets cultivés naturellement à partir de matière organique grâce au développement de nouveaux principes de fabrication. Cette collection est la dernière série d’objets imprimés en 3D de Crafting plastics! explorant la tension esthétique entre les structures parasites uniques (non) naturelles et fictives ». Et, lors de la vente de l’objet, les designers de préciser que le vase peut servir plusieurs années mais qu’une fois que l’on décide de ne plus l’utiliser, le matériau peut se dégrader dans le composteur électrique ou industriel en 120 jours. Une annonce préalable de sa fin de vie, une manière transparente d’anticiper l’obsolescence de nos objets du quotidien, qui aide à prendre conscience de notre consommation débridée.

Les designers et artistes qui se saisissent de l’impression 3D utilisant des bioplastiques partagent tous une vision raisonnée de nos ressources, anticipent le cycle de vie des objets et proposent des alternatives aux matériaux polluants. Quand l’art et le design s’adaptent aux enjeux environnementaux, cela fait très forte impression !

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