Ceci n’est pas une peinture noire.

Par Laurent Corio, fondateur Éditions Les Nouvelles

boisdebout.jpg

• Petit Druide • © Laurent Corio

« Moi, je crois ce que je vois. » Qu’est-ce qu’il peut être triste ce saint Thomas !
À ne penser qu’avec les yeux, nous passons à côté du mystérieux. Du caractère organique de la matière, nous gardons une image stérile. Nous avons relégué la sensualité de la matière au statut de « défaut ». Un plancher qui ne craint pas l’eau ce n’est pas du bois, mais une photo… Le stratifié est composé d’un « cliché » ou feuille « décor » surmonté d’un film vinyle et contrecollé sur du bois reconstitué.

« Regardez ! Grâce à ce plan de travail recomposé, ce marbre résiste aux tâches ! »
« Ces dalles de céramique en imitation bois apporteront de la chaleur à votre intérieur ! »

Nos pensées se construisent de plus en plus à travers des images. Elles sont des biais, des préjugés, des clés qui nous permettent d’envisager nos besoins comme nos désirs. Nous élevons le visuel au rang de réalité. « Je vous ai apporté ces photos d’inspirations pour que vous m’aidiez à refaire ma déco ! » Il est rare que nous prenions le temps de sentir et toucher, voire de rêver la matière.

Comment ressentir les frissons que procure la matière ? Le plaisir des effluves d’une boulangerie un dimanche matin survient car nous savons que l’on y fait du pain. Reconnaître cette odeur particulière en ouvrant les portes d’une librairie c’est savoir que le livre est du papier imprimé. Alors, en apprenant sur la matière, il est probable que nous pourrons à nouveau exciter nos sens et enrichir notre vie.

La matière qui intervient dans notre quotidien est faite de notre environnement. Quand on réfléchit à nos points communs, on peut envisager notre parenté avec les éléments. Nous sommes faits du même bois ! L’air que nous respirons profite aux humains comme aux arbres. Nous partageons notre eau avec eux. Le soleil que nous adorons sentir sur notre peau quand il fait beau est l’énergie qui permet aux arbres de pousser. La photosynthèse est le cœur de la vie sur terre. Elle est réservée aux plantes mais quand on y pense, nous participons à ce processus.

Comme nous, les arbres se tiennent debout. Ils aspirent l’eau et les éléments minéraux par les racines pour être transportés vers les feuilles qui ont capté l’énergie solaire en absorbant le gaz carbonique tout en rejetant de l’oxygène. Cette sève brute devient glucose pour être transportée par un tissu appelé phelloderme. L’ensemble des tissus nécessaires aux transferts des nutriments (liber, cambium, aubier) participent, année après année, à l’élaboration de la matière dont nous faisons des meubles et des maisons. L’histoire du bois se lit de bas en haut. Pour comprendre cette matière il faut pencher la tête. Une fois l’arbre abattu, le bois, c’est un arbre à l’horizontale. Pour le comprendre il faut toujours faire référence à sa posture naturelle. Il faudrait penser le plateau d’une table comme un défunt allongé. En l’envisageant sous cet angle on peut comprendre comment le fil qui se regarde de gauche à droite est en réalité le canal qui reliait les racines aux feuilles. Cette clé de lecture en poche, il faut se pencher sur les côtés pour découvrir un dessin différent. Ce profil est en fait l’ensemble des extrémités des canaux verticaux des arbres. C’est par là que les liquides passaient pour nourrir l’arbre. Dans le métier, nous les appelons les bois de bout. Ces zones sont les plus sensibles car c’est par ces côtés que le bois captera l’humidité, au risque de pourrir avec le temps.

Depuis des milliers d’années, au Japon, on brûle le bois pour le protéger. La chaleur de la flamme transforme la cellulose en carbone. Il devient alors imputrescible et fort devant les champignons et les intempéries. Sur ce projet, ce qui semble être de la peinture est en réalité la couleur du carbone obtenu par les flammes pour protéger ces bois de bout. Nous avons cautérisé l’entrée des anciens canaux pour empêcher l’eau de s’y loger à nouveau. Nous l’avons protégé par le feu. Voilà, le noir n’est pas de la peinture.