Concepteur de formes, entremetteur de matières, faiseur d’images : Côme Clérino développe une pratique qui tend vers celle du démiurge.

Côme Clérino Objets non déterminés

Par Maxime Gasnier

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« Beaucoup de mes sculptures sont à considérer comme du mobilier, et pour la plupart, elles sont fonctionnelles. Selon moi, il est important de provoquer l’interaction avec le spectateur, afin qu’elles ne soient pas uniquement considérées comme de simples choses à regarder », annonce l’artiste parisien. Ainsi ce dernier invite-t-il à dépasser l’acte passif de l’observation de ses œuvres. En déployant des pièces aux formats divers – tantôt murales, tantôt posées au sol –, Côme Clérino propose au regardeur de s’en saisir directement, tactilement, de faire corps avec elles : s’asseoir dessus, les manipuler, les écouter et même les goûter. L’expérience sensorielle guide la finalité de son façonnage. Il explique : « J’ai passé beaucoup de temps à explorer l’objet, le mobilier, le vêtement, mais aussi la performance culinaire et d’autres médiums. » Son intérêt pour l’expérimentation se retrouve dans la palette de matières et de gestes qu’il aime décomposer et recomposer, quitte à défier son propre statut d’artiste.

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Côme Clérino aime à tenir aussi le rôle de designer depuis sa sortie des Beaux-Arts de Paris en 2016. « Bien que je sois étiqueté comme artiste plasticien, j’apprécie le fait de me confronter à des situations inconfortables telles que la conception de meubles », explique-t-il. Il poursuit : « La matière a déjà beaucoup de sens elle-même, avant de commencer à être manipulée. Ce que j’aime dans sa diversité, c’est en découvrir les spécificités pour ensuite l’associer à d’autres, en respectant les contraintes de chacune. Trouver des solutions pour les assembler, alors qu’elles ne sont fondamentalement pas destinées à cohabiter. » Matières vivantes et minérales, verre fragile et béton robuste, textile flottant et plâtre résistant : les opposés s’attirent dans son œuvre polymorphe qui se veut parfois tableau, parfois table. Cette sensibilité brute est inspirée partiellement de l’artisanat : maçonnerie, stucage, céramique, verrerie, textile ; le plasticien se joue de la perméabilité ou de l’incompatibilité entre les techniques pour en initier de nouvelles.

L’artiste retire la matière de son environnement initial et la confronte à épouser de nouvelles formes, qu’il met en image au travers de masses volumiques organiques. Clérino organise ainsi un vocabulaire abstrait et pictural, qu’il tient des contemporains comme Cy Twombly et Christopher Wool ayant « façonné [son] regard sur l’assemblage des formes et des couleurs ». En débutant par des palettes vives, aux contrastes parfois brutaux, il a fait évoluer sa pratique vers des teintes plus douces, presque aquarellistes, tout comme il a converti la texture de ses pièces. Sa dernière exposition personnelle à la galerie Chloé Salgado, présentée en novembre 2022, montrait notamment des meubles aux contours fluides et des fac-similés de vêtements aux textiles opaques et translucides. Un rapport au corps que l’artiste prolonge en s’attelant de plus en plus à un autre domaine, celui de la danse : « C’est un milieu que je connais très peu en réalité, mais je m’y intéresse beaucoup depuis quelques années. J’y retrouve une force d’expression et de communication que je n’ai connue nulle part ailleurs. » Pourtant, en tant qu’observateur-manipulateur de ses œuvres, celui qui fait la rencontre d’une sculpture de Côme Clérino ne peut que faire déjà l’expérience d’une chorégraphie visuelle, où la matière danse jusqu’à en perdre la raison.