Peculiar Erosions, Leo Orta, AlUla Design Residency, 2024 • © Lorenzo Arrigoni
Comment un matériau et son contexte peuvent-ils jouer un rôle dans la création contemporaine et avoir du sens à différentes échelles ? Cette interrogation a mené Isabelle Pascal dans l’exploration de divers projets aux quatre coins du monde. C’est lors du Salon de Milan qu’elle découvre l’installation organisée par la région d’AlUla en Arabie Saoudite. Là-bas, depuis peu, une communauté de créatifs est invitée à créer à partir de ressources aussi infimes qu’un grain de sable, à des dimensions parfois universelles.
Véritable oasis désertique, la région d’AlUla possède des milliers d’années d’histoire. Elle est le carrefour de cultures, témoignant de civilisations successives qui ont façonné et ont été façonnées par ce paysage unique.
Cet héritage culturel et naturel est
une source créative que Sara Ghani, curatrice du projet Design Space
AlUla, a tout de suite ressentie.
Architecte et urbaniste de formation, elle perçoit ce projet comme un moyen de réinventer la région en prenant pour point de départ son contexte et ses matériaux spécifiques.
Le sable du désert, le grès des falaises, les pigments des plantes endémiques et les vestiges des maisons de la route de l’encens sont autant d’éléments qui éveillent la création. Ils nourrissent des projets aussi bien à l’échelle micro, comme le design graphique, qu’à l’échelle macro, comme l’architecture et l’urbanisme.
Récemment inauguré, le centre Design Space AlUla en est le premier manifeste. Situé dans le quartier artistique de la ville, le bâtiment est un hommage à l’architecture de la région. Réalisée en acier Corten aux couleurs du désert, en verre et en béton poli, la façade est empreinte de motifs géométriques traditionnels, comme un claustra qui apporte une lumière tamisée et une ventilation naturelle. D’un motif millénaire, tout un projet architectural moderne est né, sans pour autant dénaturer l’environnement dans lequel il se situe. La politique sur la pollution lumineuse s’ajoute à cette réflexion créative, afin de ne pas abîmer la nuit et préserver toute son intensité.
Design Space AlUla donne un nouveau souffle à la région, à son contexte et à ses matériaux uniques. Que ce soit à l’échelle locale avec son espace, ou à l’échelle internationale, en incitant des designers de tous horizons à s’imprégner de ce riche environnement. De l’artisanat traditionnel à l’héritage culturel et naturel de l’oasis, les créatifs invités à l’AlUla Design Residency ont montré les possibilités infinies de réinterprétations disciplinaires que le lieu peut offrir.
La Dr Zahrah Alghamdi s’ancre entièrement dans la culture régionale. D’origine saoudienne, elle s’est plongée dans la technique traditionnelle du cuir brodé pour réimaginer les formations rocheuses du site
Al Gharameel. La reconstitution est étonnante. Les piliers à l’aspect minéral, ornés délicatement de fleurs de camomille, célèbrent la riche biodiversité d’AlUla.
La designeuse saoudienne Leen Ajlan a souhaité, quant à elle, revisiter les espaces récréatifs et les passe-temps locaux. C’est un regard résolument moderne qu’elle dévoile avec sa plateforme modulaire Takki. Réalisé à partir de bois récupéré de l’ancien chemin de fer Hejazi, le projet redonne vie à des jeux oubliés, tout en interrogeant sur l’évolution de nos traditions dans le climat social actuel.
Pendant sa résidence, le collectif de designers français Hall Haus a poursuivi sa réflexion sur les résonances interculturelles. Les sièges traditionnels, éléments sociaux essentiels dans la culture saoudienne, deviennent le point de départ de leur création Haus Dari. Conçu comme un vaste système d’assises, il mêle ingénieusement le style Majlis et les canapés modulaires occidentaux, créant ainsi un pont entre diverses époques et traditions.
En créant des liens entre différentes disciplines, cultures et perspectives, AlUla parvient à redynamiser la richesse de son territoire. Pour le designer français Leo Orta, c’est entre l’architecture et les paysages de la
région qu’une connexion se fait. Ses recherches l’ont mené à travailler dans une approche émotionnelle de l’objet, créant Peculiar Erosions. Ses assises réalisées à partir d’argile, de barres d’armature et de paille brouillent leurs identités. Avec leurs silhouettes organiques, s’agit-il d’assises, de sculptures, de formations de formations géologiques de la région ? Ce doute, Leo Orta le recherche, invitant ainsi à une contemplation méditative de l’objet.
Entre passé et présent, local et universel, nature et culture, AlUla affirme que le potentiel créatif d’une région se trouve dans chaque élément, même les plus infimes.