Fauteuil Pratone

Par Justine Despretz

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« L’herbe est toujours plus verte dans le pré d’à côté »

Ce proverbe italien définit en quelques mots le fauteuil Pratone (pré ou gazon) imaginé par le Gruppo Strum dans les années 70. Devenu depuis une icône du design italien radical, le fauteuil a fêté ses 50 ans en 2021 et est toujours édité par la société Gufram.

Le fauteuil Pratone représente un carré d’herbes hautes permettant à l’utilisateur de disposer d’un espace vert dans son intérieur. L’utilisateur peut s’y asseoir mais l’envie presque irrépressible est avant tout de s’y jeter. La première caractéristique qui ressort est donc cette exagération des proportions qui remet immédiatement en question la perception de l’espace environnant. En imaginant le Pratone, le Guppo Strum entame sa révolution et affirme son opposition. Ce fauteuil va devenir le symbole du design radical.

Le terme “design radical” a été inventé par Germano Celant, célèbre critique d’art et créateur du mouvement italien de l’Arte Povera . Mais au-delà des individualités, le design radical est incarné avant tout par des Collectifs : UFO, Archizoom Associati, Superstudio, Gruppo Strum, ses noms s’apparentent tous à ce mouvement faisant partie de l’architecture radicale qui nait dans les années 70 en Italie. Ce mouvement, à la fois politique et idéologique, est né en réaction à la société de consommation des années 50 et à la suite du boum économique des années 60. Les architectes souhaitent créer un nouveau monde : une utopie autour de l’environnement quotidien qui ne doit plus être seulement technique et formel mais symbolique et poétique. Cette période d’expérimentation partagée par de nombreux groupes en Italie va faire naitre un design refusant les valeurs consuméristes et prônant la dérision.

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Le Gruppo Strum composé de Giorgio CERETTI, Pietro DEROSSI, Riccardo ROSSO, Carlo GIANMARCO & Maurizio VOGLIAZZO va s’emparer de cette philosophie. Le nom Strum provient de l’abréviation « architettura strumentale » (architecture instrumentale) c’est-à-dire fonctionnelle . A l’époque le design industriel est synonyme de consommation de masse, les designers ont de moins en moins de liberté au profit de la grande série et de la rationalisation des coûts. Il faut s’imposer en s’opposant :

Le choix du sujet
La représentation de la nature et des cinq sens. Le regard est attiré par la couleur de cette portion de jardin disproportionnée. La nature s’invite dans notre intérieur. À la vue s’ajoute l’expérience tactile: la texture du polyuréthane est douce et résiliente, suggérant à l’utilisateur d’expérimenter différents types d’interactions avec la pièce.

Le choix des matériaux
La mousse de polyuréthane expansé peint en vert. Ce matériau représentait un territoire jamais exploré dans les années 70. C’est l’artiste Piero Gilardi qui a conçu et développé la technique en collaboration avec le Gruppo Strum. Le Pratone est la premier « meuble » issu de l’utilisation de ce nouveau matériau.

L’usage informel
Il s’agit d’une interaction délibérément ludique, où la dimension du jeu libre est soutenue par la couleur et le matériau du Pratone. Aucune rigidité aucun code n’existe : le Pratone représente ainsi une réponse subversive aux canons de l’ameublement de la maison bourgeoise, eux-mêmes liés à des comportements rigides et codifiés. Mais également par sa mobilité, c’est une pièce modulaire avec laquelle l’utilisateur peut s’amuser à recréer un pré complet .

C’est la composante éducative qui prend la direction de la révolution en encourageant à expérimenter non seulement de nouveaux usages des objets domestiques, mais aussi une approche différente de la conception.

Un canapé reste un canapé même lorsqu’il n’est pas utilisé, ce qui n’est pas le cas du Pratone, qui est une sculpture.