Fernando Laposse

Par Clara Le Fort

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À la fois engagé et écoresponsable, le travail du designer mexicain Fernando Laposse inclut une réflexion sur les matériaux et leurs connotations historiques, sociales et culturelles. Une vision du design régénérative.

Fernando Laposse a une approche de la matière tout à fait unique dans le monde du design. Pour le diplômé de l’école Central Saint Martins de Londres qui vit et travaille entre le Mexique et la Grande-Bretagne, la matière doit être appréhendée comme un vecteur de régénérations sociale, agricole et économique. Cet engagement, qui lui colle à la peau, est né il y a quelques années d’un constat sombre : de retour à Tonahuixtla dans l’état de Puebla en 2016 après ses études, il cherche à se rapprocher des savoir-faire artisanaux de son pays. Il rend alors visite à une communauté indigène locale qu’il côtoyait enfant – les Mixtèques – et se rend compte qu’il n’en reste plus rien. Les champs ont disparu, la terre érodée est devenue infertile, les familles ont fui et le tissu social s’est délité. Seul Delfino, l’ancien du village, est resté : l’octogénaire pilote un projet de reforestation d’agaves pour stopper l’érosion (les racines absorbant l’eau et tenant le sol fragilisé) et transmettre une terre régénérée.

Fernando Laposse saisit cette opportunité : il souhaite insuffler de l’espoir à la communauté à travers un design vertueux. Il se tourne vers les matériaux ancestraux d’origine naturelle (maïs, sisal, éponge indigènes) et entend, à travers eux, valoriser la terre, mettre en lumière l’artisanat local et apporter de nouveaux revenus aux paysans. Premier exemple, son ambitieux projet Totomoxtle repose sur la création d’un nouveau matériau hautement qualitatif à partir de feuilles de maïs indigène colorées, souvent délaissées au profit de variétés américaines à haut rendement, modifiées génétiquement. Détachées des épis, les feuilles sont aplanies puis découpées pour composer une marqueterie végétale qui peut être collée sur un support textile ou une surface – des tables, vases ou cloisons, en architecture d’intérieur. Aujourd’hui, l’essentiel du travail est réalisé par la communauté locale, qui engrange des revenus substantiels par rapport au simple travail de la terre.

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Son projet autour du sisal suit la même démarche. Historiquement, le nom « sisal » provient de la ville portuaire de Sisal située dans le Yucatán, port à partir duquel les fibres étaient expédiées dans le monde entier. « Sisal » est également le nom de la fibre extraite des feuilles de la plante agave sisalana – appelée communément sisal : très résistante, elle sert depuis des siècles à la fabrication de cordages, tapis et filets de pêche. Traditionnellement, les feuilles situées sur l’extérieur de la plante (uniquement, pour ne pas l’endommager !) étaient coupées à la main dans les plantations avant d’être décortiquées pour en isoler la fibre puis séchées au soleil. Les écheveaux étaient ensuite transformés dans les ports pour devenir des cordages et ficelles de plus ou moins grande section. La production du sisal constituera un apport économique considérable pour la région du Yucatán jusque dans les années 1960, sa production atteignant jusqu’à 160 000 tonnes par an. Introduite dans les années 1940, la fibre nylon aura raison de ce secteur d’activité traditionnel.

Quand Fernando Laposse découvre non seulement le projet de reforestation entrepris à partir d’agaves sisalana mais aussi le potentiel du sisal, il imagine une série de pièces qui pérennisent à nouveau l’usage de la fibre végétale. Il décide de planter lui-même des rangées d’agaves, attend sept ans que les feuilles extérieures soient suffisamment matures pour les tailler à la machette, extrait les fibres et les tresse librement sur une structure artisanale en bois pour créer le Dog Bench. Ce banc, qui prend la forme d’un chien aux poils longs, a permis la création d’une coopérative qui rassemble 40 agriculteurs et 12 artisans locaux qu’il a formés sur place. L’objectif à terme est de planter 80 000 plants d’agave sur 120 hectares et de créer des emplois pour une cinquantaine de villageois. « Mon objectif en tant que designer est de favoriser les circuits courts, d’améliorer les conditions de travail des artisans, et d’œuvrer au maintien de la biodiversité en privilégiant un retour à une agriculture raisonnée », conclut le designer.