Ultra résistant, environ trois fois plus léger que l’acier et recyclable à l’infini, Al, treizième élément du tableau périodique de Mendeleïev, inspire les designers contemporains. À commencer par Victoria Wilmotte, qui le convoque pour donner corps à la console Pleat, signée en 2022 pour Theoreme Editions. Un objet « sculptural, monolithique et minimaliste », constitué d’une unique feuille d’aluminium pliée et perforée au laser dans laquelle sont insérés deux tubes métalliques vernis. « L’une de nos principales difficultés sur ce projet était de trouver un fabricant capable de plier la tôle, qui mesure tout de même plus de 3 mètres de long, sans avoir à la découper », se souvient Victoria. Une véritable gageure, la faute aux presses plieuses qui, aussi performantes soient-elles, ne sont généralement pas adaptées pour réaliser des rayons de pliage aussi serrés que ceux de Pleat. Finalement, ce sont les ferronniers de l’Atelier François Pouenat, installés à Varennes-Vauzelles, dans la Nièvre, qui fabriqueront la console en édition limitée à 8+2 exemplaires. « Nous avons dû concevoir un outil spécifique pour respecter le projet de Victoria, explique François Pouenat. Mais je ne dirais pas que cela représentait un défi. Il s’agit avant tout de comprendre l’objet, son dessin, pour in fine, trouver les solutions techniques appropriées. » Le résultat, sensuel et miroitant, séduit même le Mobilier national, qui intégrait la pièce à ses collections le 1er février dernier.
Avec la Table Climatique, c’est sous une forme ondulée que Jean-Sébastien Lagrange, designer, et Raphaël Ménard, architecte et ingénieur, utilisent l’aluminium. Et ce, pour ses propriétés structurelles et effusives. Distribuée par la galerie Valérie Guerin et inspirée du kotatsu – une table traditionnelle japonaise faisant office de chauffage d’appoint –, cette table en chêne dissimule en effet sous son plateau un système intégrant des bâtons de paraffine. Un matériau à changement de phase (MCP) qui, au-dessus de 25 degrés Celsius, fusionne et capte la chaleur. « Nous avons constaté que les problématiques environnementales, et notamment celle du confort thermique, étaient souvent laissées à l’appréciation des architectes. Notre objectif était de démontrer que le design et le mobilier ont aussi un rôle à jouer », confie Jean-Sébastien. En plus de permettre aux tréteaux de s’emboîter parfaitement dans le plateau grâce à sa géométrie, l’aluminium ondulé favorise les échanges thermiques entre l’air ambiant et le MCP. Si bien que dans une petite pièce, la Table Climatique contribue à réduire les amplitudes thermiques de deux degrés.
Rafraîchissante, l’oeuvre du designer Axel Chay l’est aussi, à sa manière. Après avoir conquis les réseaux sociaux avec son désormais iconique tabouret rose Septem et sa lampe à poser Phallus – tous deux fabriqués en acier laqué –, cet autodidacte installé à Marseille dévoile de nouveaux modèles en aluminium, parmi lesquels les luminaires Modulations et Potence. Des objets sculpturaux et virevoltants que l’on jurerait confectionnés à partir de tubes cintrés, mais qu’Axel réalise en fait avec des cylindres et des coudes métalliques standards. De simples fournitures industrielles qui, grâce à son sens inné de l’esthétique couplé au savoir-faire d’artisans locaux, notamment de son frère, prennent vie une fois soudées et polies. « Je n’ai pas une culture du dessin. Aucun discours prédéfini ne vient déterminer la forme de mes créations. Je travaille au contraire de manière très instinctive : je fais des pièces que je trouve simplement belles ou qui me font sourire », appuie celui qui confie néanmoins s’inspirer de grandes figures du XXe siècle, telles que Donald Judd ou Julio Le Parc.
Comme Axel Chay, l’artiste-designer coréen Jinyeong Yeon travaille à l’instinct. Pour l’éditeur 13Desserts, il imagine une série d’assises, des pièces uniques fabriquées à partir de tubes d’aluminium emprisonnés dans un étau, chauffés, puis tordus. « Chaque modèle est façonné par des pratiques quasiment sadiques, ce qui leur donne une apparence fragile et déstructurée », explique Jinyeong. Et Kevin Dolci, cofondateur, avec Clément Rougelot, de 13Desserts, d’appuyer : « Ce sont davantage des sculptures que des chaises pensées pour s’asseoir. » Une fois la forme définitive obtenue, chacune de ces Aluminium pipes est ensuite enduite d’un revêtement coloré et flamboyant, comme de la peinture de carrosserie. « L’aluminium est un matériau intéressant car il offre de nombreuses perspectives de finitions. Avec Clément, nous aimons beaucoup l’anodisation. Finalement, nous avons choisi cette peinture pour avoir un rendu puissant et pailleté qui vient souligner l’esthétique des chaises de Jinyeong », complète Kevin.
Plié, soudé, ondulé, tordu voire malmené, chromé, poli, peint, ou encore verni ; grâce à ses propriétés à nul autre pareil, l’aluminium suit le mouvement. Entre design et art, il se laisse sculpter, façonner, pour donner corps à des pièces aussi techniques que sensibles. Merci, Al.