sociologue et historien spécialiste des savoir-faire

Le bois, le territoire et le designer

Par Hugues Jacquet

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• Cueillir les objets, une saison aux Arques • © Nicolas Verschaeve

Parmi les matières que nous transformons, le bois est sans doute celle qui possède la force d’évocation la plus puissante. Le paysage mental qu’il déploie chez nos contemporains semble, par son étendue, l’emporter sur les autres ; ce que rappelle d’ailleurs le terme de materia qui, en latin et en vieux français, désigne le bois en tant que matière première. Chaleureux, doux, apaisant, il appelle le tact et sa vue participerait à un sentiment de sérénité. L’aura du bois est ainsi conditionnée par une forte charge symbolique. Souvenons-nous du débat, vite éteint, qui proposait de refaire, après l’incendie, la charpente de Notre-Dame de Paris dans un autre matériau. Dessinées par Ionna Vautrin et fabriquées par l’entreprise Sièges Bastiat dans les Landes, c’est aussi et toujours en bois que seront faites les chaises de la cathédrale appelées à scander à nouveau le sol de la nef.

Le bois, nous l’imaginons toujours massif, alors que, comme les précédentes tribunes ont pu le montrer, c’est surtout sous une forme déchiquetée que nous l’utilisons en quantité pour l’industrie du meuble en grandes séries.
On l’aime d’un seul bloc mais on l’achète le plus souvent en minuscules bribes agglomérées par de la résine et parfois prises en sandwich entre deux feuilles de mélaminé que l’ironie du sort peut conduire à recouvrir d’une image de bois massif. Cette distorsion entre le bois tel qu’on se le représente et la réalité de ses usages, guidée par notre consommation, a pu conduire à oublier ses qualités premières et défaire peu à peu les filières de production.

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La France est riche d’un couvert forestier important, plus de 17 millions d’hectares occupant près d’un tiers du territoire métropolitain. Année après année, la surface forestière s’accroît. Si ce constat peut rendre optimiste, il cache d’autres réalités car il est aussi la conséquence de la déprise agricole, d’un éclatement considérable de la propriété forestière privée – de petites parcelles souvent peu ou pas entretenues et exploitées – et de nos modes de consommation. L’importance statistique de la forêt française ne dit rien non plus des autres enjeux qui la concernent notamment de l’impact du réchauffement climatique sur cette ressource ou des conséquences des forêts en monoculture, car la gestion sylvicole a connu, comme le reste de l’agriculture, des stratégies de production intensive. L’ensemble de ces données, bien que trop vite résumées et gommant les disparités régionales, nous invite à porter à nouveau un regard attentif sur cette ressource. Si des forêts peuvent être appelées à une forme de sanctuarisation, il est aussi nécessaire, pour la protéger, de bien la comprendre, l’entretenir, c’est-à-dire l’exploiter – ici dans un sens positif –, ce qui permet de la régénérer et d’accompagner son adaptation à la nouvelle donne climatique. Pour ce faire, il est important que les approches et les acteurs soient multiples. Cette tribune prenant place dans un magazine dédié au design et à l’architecture d’intérieur par le prisme de la matière, nous allons glisser nos pas dans ceux des designers qui ont arpenté la forêt, y glanant inspiration et un regard différent sur cette ressource.
Au début des années 2000, nous nous souvenons peut-être du mobilier de Vincent Dubourg et Tulip Santène, travaillant les branches et rejets de châtaignier encore verts, pour les tordre et les guider à dessein afin de former un mobilier baroque, libre et singulier. Plus récemment, Erwan Bouroullec, après avoir acheté un ancien corps de ferme en Bourgogne, a commencé un travail photographique et artistique sur la forêt, passant au filtre de sa perception le regard qu’il porte sur celle-ci. Il y a aussi organisé des ateliers avec des étudiants où ce qui est trouvé en forêt sert de base à la création d’un mobilier intuitif, peu transformé, associant le « ce qui est là » à la production industrielle de planches et autres plateaux aisément disponibles dans une grande surface pour les produits du bâtiment (série intitulée EB LG F71 HYMD).

Intéressons-nous maintenant et plus longuement aux différents travaux ayant trait au bois et à la forêt du jeune designer Nicolas Verschaeve. Chemin faisant, nous croiserons des programmes et des résidences qui cherchent à valoriser les ressources du monde rural et à enrichir l’offre culturelle de ces territoires, souvent des terrains peu ou pas explorés par les designers. Nous pourrions débuter par Sillages (2021-2022), issu de son travail en résidence auprès du CIAV (Centre international d’art verrier) à Meisenthal, qui, déjà, abordait presque autant la ressource sylvicole locale que le travail du verre. Cette expérience en Pays de Bitche se poursuit aujourd’hui par la commande d’un diagnostic sur les forêts et la filière bois de ce morceau du territoire mosellan. Nourri d’un travail de collecte documentaire – récits, photographies, archives, objets… – cet état des lieux de la ressource, de ses acteurs et de leurs équipements sera associé à un inventaire de l’héritage culturel de cette filière sur le territoire.
À son aboutissement en 2025, celui-ci ne sera qu’un point de départ avant la mise en place d’autres initiatives de valorisation. (…)

À découvrir en intégralité dans FORMÆ #4 daté juillet - septembre 2024

par ordre d’apparition : Recherches autour d’un modèle de cadre en bois et verre plat © Nicolas Verschaeve • Malin, porte-manteau sur pied © Nicolas Verschaeve