Expérimentation à la cire d’abeille, Ombre Agence • © Victor Fleury Ponsin
« Donner l’existence à quelque chose en le tirant du néant » (définition CNRTL)
Alors que le verbe créer se défini de la sorte, nous pouvons nous demander si le designer se doit de créer ou doit-il simplement prolonger une histoire existante ?
Le créateur dans le domaine des arts décoratifs a en effet tendance à écrire toute l’histoire de son objet. Directif, voire autoritaire, il limite et contraint le design, le concept et la matière dans un geste déclamant une esthétique rigoureuse. Il ne propose rien. Il impose une pensée et une position. Chaque élément est contrôlé de peur de les voir s’échapper et parler à sa place. Se construit alors un univers, parfois riche, doté d’une « signature » ou d’une vision, mais stérile face à l’Extérieur, à l’environnement. Ce monde, son monde, gravite, à l’instar de nos satellites, autour de notre réalité. Il devient un espace de création parallèle, se nourrissant de lui-même et n’invoquant qu’un geste intime, alimentant une quête, celle de se connaître.
Sans rejeter cette méthode, je considère la création, dans le domaine du design, comme un prolongement. Le designer n’est pas créateur mais interprète. Avec une certaine pesanteur et un devoir de mettre en lumière, le designer doit écouter l’Extérieur, s’enraciner dans des récits existants, s’immerger dans la matière et les gestes des autres pour ensuite les mettre en forme, les matérialiser et les condenser en un artefact. Chaque création doit témoigner d’une histoire commune. Elle doit essentialiser une sensation universelle, faire écho au monde, et rendre fier tous les acteurs qui ont travaillé sur l’objet.
Le designer n’est pas un artiste. Il ne regarde pas le monde uniquement avec ses yeux et ses viscères, sans penser à l’Autre. Le designer ne peut pas délivrer son intimité dans un objet. Il est garant d’une générosité capable d’emmener avec lui des personnalités extérieures, d’autres histoires. Il doit laisser la place au monde pour avoir le recul de le suggérer et le matérialiser. Le designer doit impérativement se mettre à l’ombre pour observer la lumière, celle dégagée par d’autres, afin de l’interpréter et la restituer. « Traduire d’une langue à une autre ». « Expliquer, chercher à rendre compréhensible ce qui est dense » (CNRTL). J’ajouterais la notion de partage à cette définition de la traduction. Nous devons, à l’inverse des designers-créateurs, refléter la pensée des personnes et des éléments inanimés qui nous entourent. Le rôle du designer est de proposer des créations ouvertes où chacun peut se rattacher à un morceau ; historique, technique ou sensible.
C’est la proposition que fait la Fondation Etrillard, à travers son concours « Âmes d’Œuvres », invitant les artisans et designers à réinterpréter la Bergère du débotté, fauteuil emblématique du XVIIIe siècle. Plutôt que de créer une nouvelle histoire, j’envisage ce concours comme une volonté de prolonger et de traduire les intentions initiales de l’objet, tout en y apportant un regard contemporain. Les fonctions et les décors doivent être repensés pour refléter de nouvelles pratiques et textures, ancrées dans une vision collective actuelle. Ce processus permettrait de tirer le fil, déjà intégré à cet objet unique, pour lui insuffler, pour y infuser une nouvelle énergie. Je suis convaincu que le designer doit passer par ces détails, par l’intérieur pour définir l’Extérieur.
Le rôle du designer est d’interpréter le monde. Il ne crée pas. Il ne crie pas. Il se charge de suggérer et de condenser les paroles afin de matérialiser une histoire porteuse de sens et suffisamment vaporeuse pour que chacun puisse s’y connecter et se l’approprier.