L’inspiration par la matière
On nous promettait sa disparition à l’ère numérique, et pourtant, le papier n’a jamais été aussi présent dans notre quotidien. Il est le support par excellence, de manière universelle. Et si cette invention millénaire était bien plus que cela ? Issu de fibres végétales transformées en pâte à papier, puis elles-mêmes séchées en fines feuilles, le papier est avant tout un matériau qui recèle de nombreuses qualités. Fragile ou robuste, brut ou esthétique, il devient une toile pour l’expression créative d’architectes et de designers. De l’agencement intérieur au revêtement mural, du mobilier fonctionnel à l’objet décoratif, le papier écrit un nouveau chapitre de son histoire.
Depuis 2003, le collectif d’architectes ciguë porte un regard attentif sur l’écoconception. Chaque projet est un travail de recherche sur les matériaux utilisés, ou plutôt réutilisés, que l’agence expérimente dans son atelier. Dans cette réflexion, ciguë s’est penché sur les déchets de papiers générés dans ses bureaux. Comment alors valoriser ce matériau dans l’aménagement intérieur ? Après tests et échecs, le studio a créé sa propre matière à partir des chutes de papiers et l’a mise en pratique en 2018 avec la boutique À Rebours de Lafayette Anticipations. Mélangé à de l’eau de ouate de cellulose puis compressé par foulage dans des moules de forme, le papier reprend vie sous l’apparence d’un cube de rangement, esthétique, robuste et fonctionnel.
Dans cette approche expérimentale, le designer coréen Lee Woojai donne à voir une autre facette du papier. Interrogeant les usages stéréotypés des matériaux, il souhaite déceler leurs potentiels durables. Le papier le fascine aussitôt pour son caractère recyclable et malléable. C’est dans la forme la plus élémentaire, la brique, qu’il souligne ses nouvelles qualités. Réalisé à partir de pulpe de papier journal et de colle, puis compressé dans un moule, cet élément typique de construction s’apparente à s’y méprendre à du marbre, tant par sa finition que par sa solidité. La première étape de sa réflexion franchie, le designer poursuit ses recherches à l’échelle architecturale, dont les panneaux muraux créés pour la boutique COS en Corée du Sud sont les prémices.
Créatifs de toutes disciplines ont ainsi trouvé, dans ce support, une souplesse idéale pour façonner leurs idées. Pour Marianne Barrier et Guy Doat, fondateurs de la Manufacture de papier, la pâte à papier de vieux livres est devenue leur matériau de prédilection. À la manière d’une motte de terre, elle est façonnée à la main pour se transformer en étagères, en assises aux silhouettes organiques.
Ce processus créatif et respectueux de la planète s’aligne sur cette volonté de pièces uniques, presque sculpturales par la texture inimitable du papier, mais qui préserve toute la fonctionnalité du meuble.
Robuste, malléable, recyclable, accessible. Les qualités du papier sont nombreuses. Et c’est son caractère léger qui a intrigué Laurent Poumat et Anne Friesz, couple derrière les Farfelus Farfadets. Sous sa forme de papier mâché, ce matériau se laisse facilement manipuler et offre au duo d’artistes une liberté totale pour créer des objets à l’aura magique, à l’instar de ces miroirs. Chaque cadre est une véritable sculpture où le décor, abstrait ou organique, semble avoir été minutieusement taillé et révèle un matériau aussi noble que la pierre.
