Filet, Elfie Poiré • © Elfie Poiré
Que faire des chutes de tissus, des rebuts de plastique ou des déchets en général ? De nombreux artistes s’interrogent sur la manière de leur donner une nouvelle vie. Et le tissage apparaît comme une réponse convaincante. Bien que ces matériaux délaissés ne soient pas toujours destinés au tissage, les artistes trouvent des moyens ingénieux de détourner cette technique. Qu’ils s’agissent de savoir-faire artisanaux ou de nouvelles technologies, toutes les méthodes sont bonnes pour valoriser ces matériaux.
Comme les matériaux qu’elle récupère, le processus créatif d’Emma Cogné est une recherche de simplicité pour interroger la notion de textile. En utilisant des gaines en plastique de fils électriques récupérées, la jeune designeuse textile prolonge non seulement la vie de ce matériau trivial, mais elle lui attribue une nouvelle fonction.
Avec une économie de moyens, et sans même recourir à un métier à tisser, elle tisse ces éléments colorés à la main, les découpe et les transforme en perles et imagine Système T, un élément de séparation spatiale, à l’image de ses rideaux en cordelettes traditionnelles, composés de nœuds et d’assemblages de cordes. Ce matériau, initialement conçu pour dissimuler des fils dans les murs, devient un élément visible et esthétique créant une intimité entre les espaces intérieurs
et extérieurs.
Le travail d’Elfie Poiré est également animé par une exploration expérimentale de la matière. Formée à la broderie, elle adopte une approche plus sensible et singulière. Chaque pièce est ainsi minutieusement réalisée à la main à partir de matériaux récupérés, qu’elle transforme et détourne. Car pour la designeuse textile, tout peut devenir matière à tisser : des tuyaux striés et colorés transformés en anneaux, aux gaines électriques métamorphosées en perles, qu’elle intègre dans ses Filets pour leur donner une dimension textile.
À travers un jeu de nœuds et d’entrelacements de boutons récupérés, ses créations deviennent de véritables tissus aux textures riches et colorées. C’est dans cette volonté qu’elle collecte et réunit ces matériaux délaissés au sein de la Souplothèque, une récupérathèque dont elle est l’une des fondatrices.
Jeanne Goutelle s’intéresse à la réutilisation de rebuts avec une autre approche. Forte de près de 20 ans d’expérience dans l’industrie textile, elle s’appuie sur ses compétences artistiques et techniques pour proposer une autre vision de l’upcycling et renouveler l’art textile. Mais son processus créatif se distingue aussi par l’importance accordée à l’environnement dans lequel elle se trouve. Elle s’intéresse aux gisements de matériaux existants. À partir de chutes de matières locales, elle reprend les techniques de fabrication initiales pour retravailler une matière déjà tissée. Installée à Saint-Étienne, berceau de la rubanerie, elle a exploré l’histoire de ce textile et, à partir de chutes de production issues des industries de la région, elle a utilisé la technique traditionnelle pour tisser des centaines de mètres de lacet, créant la série limitée de tapis Knit Knot, des œuvres colorées destinées à être posées au sol.
De manière plus expérimentale, la designeuse textile Fransje Gimbrere s’intéresse également au contexte dans lequel s’inscrit chaque projet, ce qu’elle appelle the framework (le cadre). En explorant de nouvelles applications pour des matériaux et techniques déjà existants, elle interroge notre perception de la matière textile et s’éloigne des conceptions habituelles.
Elle étudie alors le comportement des différents matériaux, manipule leur image, leur forme. Le réemploi de matériaux est souvent au cœur de son travail, constituant un défi pour les valoriser à l’intersection de l’artisanat et de l’innovation. Sa collection Standing Textile, une série d’objets fabriqués à partir de fibres plastiques récupérées et tissées fil par fil sur un métier à tisser, illustre cette démarche. Ces structures, qui paraissent fragiles mais sont en réalité très solides, montrent qu’il est encore possible d’innover avec les techniques du passé.