Les étonnants textiles en bois d’Elisa Strozyk

Par Nathalie Dassa

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• Textile en bois noir, collection Sculptural, Elisa Strozyk • © Studio Been

La designeuse allemande réinvente la science des matériaux, fusionnant le bois et le textile pour concevoir des objets de design sculptural, entre artisanat et nouvelles technologies.

Elisa Strozyk a l’art de brouiller les frontières et de repousser les limites. Depuis plus d’une dizaine d’années, cette ancienne diplômée en design textile au sein des prestigieuses Central Saint Martins à Londres, KHB à Berlin et ENSAD à Paris élabore des matières hybrides bio-inspirées dans son processus de création. Après avoir longtemps travaillé avec des textiles, elle s’est totalement éprise du bois. « Ce matériau unique et naturel était autrefois vivant, il grandissait et “bougeait” », rappelle, rappelle-t-elle. « L’idée était de redonner cette capacité à une ressource essentielle que nous considérons comme solide et rigide. »

L’innovation au cœur de la matière

La virtuose de 42 ans, installée à Berlin, fait ainsi naître des pièces innovantes, originales et singulières à travers le procédé qu’elle a créé en 2009 : le « Wooden textile ». Si elle récupérait à l’origine les chutes de bois des ateliers de menuiserie, elle manie désormais le placage issu de plusieurs fournisseurs. Elle découpe un morceau en pièces fines pour le fixer et le reconstruire sur la base d’un textile. « J’ai toujours été intéressée par la combinaison de matières dures et souples pour créer des objets qui peuvent passer de plats à tridimensionnels. Le résultat est une surface en bois flexible et presque douce comme un tissu. »

Du design à mode, de l’art à la photographie, la designeuse investit les médiums avec aisance, combinant son savoir-faire entre travail manuel et nouvelles technologies. Dans une approche low-tech, elle s’inspire de la technique de marqueterie traditionnelle et de mosaïque artisanale. « Nous utilisons la découpe au laser, puis nous plaçons un seul triangle en bois à la main », précise-t-elle. Si cette forme géométrique permet à la matière de bouger et de se transformer, elle inclut d’autres polygones, comme des losanges, pour jouer avec les effets d’optique, en trompe-l’œil.

Mobilier, luminaires, vêtements, plaids, tapisseries, rideaux transparents, séparateurs de pièce, revêtements muraux… Tout se prête ainsi à la transformation dans un jeu de mouvement et de polyvalence, de la 2D à la 3D, froissé ou à plat, dur ou souple, angulaire ou arrondi. Elisa Strozyk privilégie l’érable pour sa couleur claire, constituant une base idéale lorsqu’elle teint le bois. « Pour des œuvres d’art, nous travaillons avec des motifs de couleurs dégradées. Personnellement, j’aime aussi le bois qui a un motif naturel spécifique. » Quant au choix du textile, elle favorise le coton doux et la viscose dont les propriétés définissent la capacité du bois-textile à se mouvoir.

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Nouvelle expérience tactile

Si une année lui a été nécessaire pour trouver des solutions aux aspects techniques, tout en testant plusieurs types de bois, la fabrication d’une pièce d’un mètre sur deux implique deux à trois semaines de travail. Et le résultat en vaut la chandelle. Flexible et malléable, cet objet unique devient surprenant au regard et au toucher. « Le monde qui nous entoure devient de plus en plus immatériel », souligne la designeuse « Dans cette société d’images, il ne reste plus grand-chose à ressentir. Nous connaissons la sensation de marcher sur un parquet ou de sentir l’écorce d’un arbre, mais nous ne rencontrons pas de surface en bois qui peut être manipulée au toucher. Le Wooden textile véhicule une nouvelle expérience tactile. »

Aujourd’hui, Elisa Strozyk peut tout produire au sein de son propre studio, collaborant avec divers ateliers de menuiserie pour des projets plus importants. Mais aussi avec des artistes, des designers et des maisons de luxe, qui valorisent le processus artisanal. À l’instar de Cartier, Dior, Fendi, OMA Architects ou encore de la styliste française Léa Peckre pour laquelle elle a conçu une robe en bois.

Son travail a reçu de nombreux prix et a été exposé dans plusieurs institutions muséales et foires d’art et de design, comme le Victoria and Albert Museum et le Design Miami. Et l’avenir semble sous les meilleurs auspices. Si son approche s’étend également aux changements d’état physique du verre et de la céramique, Elisa Strozyk continue d’ouvrir le champ des possibles. Elle travaille sur un projet en collaboration avec un constructeur automobile, tout en élaborant parallèlement une collection axée sur les techniques de pliage de l’origami.

par ordre d’apparition : Collection Transparant, Elisa Strozyk © Studio Been • Bar-cabinet Septagon, Elisa Strozyk et Sebastian Neeb © Studio Been