Irene Cattaneo, 2024 • © Enrico Fiorese, courtesy of Lo Studio - Nadja Romain
Dans le Dorsoduro, la galerie Lo Studio inaugurée en avril dernier, à l’ouverture de la Biennale de Venise, enracine une création expérimentale locale au cœur de son programme, sous l’impulsion de la curatrice Nadja Romain.
Productrice et commissaire d’expositions, Nadja Romain a toujours été inspirée par l’héritage artistique de Venise et sa réalité contemporaine. Ce n’est donc pas un hasard si elle a choisi d’amarrer son premier espace, Lo Studio, au bord de la lagune qui dessine le contour du Dorsoduro, quartier vibrant des prestigieuses institutions – Gallerie dell’Accademia, Peggy Guggenheim Collection, Punta della Dogana – antérieures à son arrivée. « Venise est la meilleure illustration de la capacité de l’être humain à créer l’impossible. Sa beauté est fascinante et reflète son illustre passé de carrefour des civilisations, de premier hub international. Aujourd’hui, je vois Venise comme un laboratoire du futur, un lieu qui, grâce à sa singularité sociale, architecturale, géographique et culturelle, offre une plateforme pour envisager et inventer un nouveau mode de vie dans notre monde en pleine mutation », précise la fondatrice.
Animé par ce leitmotiv, Lo Studio est voué à inviter des artistes établis à
Venise à réinterpréter le lieu en se saisissant de son espace et en favorisant les collaborations avec les communautés artisanales locales. En 2020 déjà, Nadja Romain organisait l’exposition « Unbreakable Women in Glass », avec l’artiste Koen Vanmechelen, à la Fondazione Berengo, qui a reçu le prix Bonhams de la meilleure exposition lors de la Semaine du verre de Venise. Un an plus tard, elle assurait le commissariat de Yugen, incluant l’artiste vénitienne Irene Cattaneo, aujourd’hui à l’honneur de l’exposition inaugurale de Lo Studio.
Étymologiquement, l’origine du mot anglais studio désigne l’atelier d’artiste, qui lui-même est emprunté de l’italien pour signifier le « lieu où l’on étudie, où l’on travaille » et du latin studium qui renvoie à l’« étude avec ardeur ». Consciencieusement donc, Lo Studio s’impose comme un espace d’expérimentation, appliqué, où entrent en résonance art, design et artisanat. Trois disciplines complémentaires, en mouvement perpétuel, qui sont la métaphore de vases communicants favorisant continuellement la perméabilité entre formes, matières et volumes.
À cette image correspond l’exposition d’Irene Cattaneo, que l’on découvre dans la première aire de la galerie. « meteomorphosis », titre du solo show, met en lumière toute cette aura transformatrice qui embaume la pratique de la jeune sculptrice italienne. Dans un bleu ciel qui immerge la galerie, l’artiste rassemble ses pièces de verre – matière avec laquelle elle s’est familiarisée à Murano –, de marbre et de métal qui tiennent rôle de mobilier, d’accessoires et d’objets. Fonctionnels ou contemplatifs, il revient au visiteur de décider quel en serait l’usage. L’installation immersive s’intéresse tant à l’alchimie des mots que de l’art : dans cet espace atmosphérique, nébuleux, Irene Cattaneo écrit à même le sol et sur les murs. Elle dresse une topographie onirique qui rappelle que la création se raconte aussi à travers des repères indéterminés, volatils.
Changement d’environnement au fond de la galerie. La vacuité du doux bleu abyssal enveloppant l’entrée laisse place à une pièce électrique qui achève les 150 mètres carrés de Lo Studio. Un air de punk garage motive cette seconde salle où s’établissent les créations du duo Bloko 748, composé des artistes Antonio Davanzo et Victor Miklos Andersen. « laguna antropica » : ici, encore, la référence à Venise ne peut s’invisibiliser. Le statement de cette autre exposition inaugurale figure « une invitation à repenser l’image classique de Venise en empruntant des matériaux, des techniques et des éléments visuels insolites, favorisant ainsi une interaction vibrante entre le passé et le futur potentiel de la ville. » Le tandem formé pendant des études à la Design Academy Eindhoven révise ici les principes de l’architecture vénitienne et des décors de la cité, par le biais de techniques d’impression 3D et de moulages divers, tout en juxtaposant les matériaux – synthétiques comme naturels. Multipliant les couleurs acides, cette installation empile des volumes qui épousent une esthétique de science-fiction, dans laquelle se dessinent un sofa, une table, un lustre, une étagère murale. Soit la synthèse d’une Venise passée et d’une autre à venir.