De la nature aux fantasmagories.

Loewe Craft Prize

Par Matthieu Jacquet

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Créé en 2016 par la maison Loewe sur l’initiative de son directeur artistique Jonathan Anderson, le Loewe Foundation Craft Prize récompense chaque année des artistes et designers pour une création mobilisant des savoir-faire exceptionnels et innovants. Une haute distinction de l’artisanat qui dévoilait en mai dernier l’identité de sa nouvelle gagnante, Eriko Inazaki, ainsi que ses deux mentions spéciales, Moe Watanabe et Dominique Zinkpè.

Comment retranscrire à la main la richesse et la précision de la faune sous-marine ? Un défi d’apparence impossible que l’artiste Eriko Inazaki a pourtant relevé avec son œuvre Metanoia. Sur une base ovoïde d’une vingtaine de centimètres de haut, des myriades de petites particules d’un blanc éclatant forment une surface de polypes similaire à celle d’un corail dur. Devant l’ultraréalisme de sa texture, on imaginerait l’artefact conçu en plastique grâce à l’impression 3D, mais sa matière première est en réalité bien plus rudimentaire. Pendant plus d’un an de travail, la céramiste japonaise a manipulé la terre au scalpel, à l’aiguille et au pinceau pour y modeler une par une des centaines de minuscules particules avant de les assembler avec la plus grande délicatesse. Et si ce remarquable travail requiert une agilité extrême de la main, c’est ailleurs que réside la clé de sa réalisation : afin de prévenir le séchage rapide de la terre, l’artiste active dans son atelier un diffuseur de vapeur d’eau en continu qui lui permet de travailler ces différents fragments souples et légers comme des morceaux de dentelle avant de les superposer couche par couche. Quintessence du savoir-faire, l’oeuvre de cette quinquagénaire, dont le travail fut révélé il y a seulement six ans au sein d’une exposition à Tokyo, lui a valu de recevoir en mai dernier le prestigieux Loewe Foundation Craft Prize.

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Source inépuisable d’inspiration pour les artistes, la nature est bien au cœur des travaux récompensés par cette nouvelle édition, de leurs matériaux d’origine aux sujets représentés. En atteste Transfer Surface de Moe Watanabe, distingué par l’une des deux mentions spéciales cette année : un vase carré en écorce dont les quatre côtés sont maintenus ensemble par de discrets rivets. Inspirée par une marche en forêt lors de laquelle son attention s’est arrêtée sur un noyer, la Japonaise passée maître dans l’art de la vannerie a travaillé la surface brute de l’arbre avant de la coudre d’après la tradition de l’ikebana, art séculaire de la composition florale issu de son propre pays. L’autre mention spéciale du prix revient cette année au plasticien Dominique Zinkpè, dont les peintures et sculptures figuratives s’imprègnent de la culture béninoise et de ses croyances. Dans la lignée de ses précédents travaux, l’artiste a gravé dans le bois des centaines de figurines à l’effigie des Ibéji – jumeaux sacrés dans la religion yoruba – avant de les clouer ensemble pour composer un panneau mural teinté de rose et de jaune. Le travail de la main triomphe ainsi également dans cette réinterprétation innovante de l’objet de culte, qui n’a pas manqué de séduire les membres du jury.

Parmi les trente finalistes du Loewe Foundation Craft Prize 2023, on retiendra également le travail de la céramiste française Claire Lindner et du designer américain Liam Lee. Les créations de la première, croisées l’an passé au MO.CO ou au PAD, frappent par leur aspect velouté obtenu par un émaillage du grès à l’aérosol après cuisson. Les dégradés de couleurs vives et surnaturelles qui enveloppent leurs volumes courbes biomorphiques, évoquant anémones, serpents ou encore fruits exotiques, confèrent à ces oeuvres un aspect particulièrement séduisant. De son côté, Liam Lee propose une chaise étonnante à base de laine mérinos feutrée et teinte à la main dans des couleurs saturées – ici, vert pomme pour le dossier et lilas pour l’assise. Le textile est ensuite tendu sur une structure en bois sculpté dans des formes organiques, qui semblent générer des plantes étonnantes. Deux pratiques hypersensorielles qui mobilisent l’artisanat avec brio afin de faire apparaître de véritables fantasmagories.