En s’engageant dans l’imperfection, l’artiste danois attribue à ses sculptures un relief texturé, exprimant la fragilité du souvenir, mais qu’il ravive par un choix chromatique fringant.

Mads Lindberg Crispy souvenirs

Par Maxime Gasnier

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Lorsque l’on demande à Mads Lindberg d’énoncer un qualificatif pour désigner la matérialité de ses sculptures, il choisit « crispy ». Au sens propre comme au figuré, l’artiste cultive ce goût pour le croustillant, l’espièglerie. En février 2022, le titre de l’exposition qu’il présente au sein de l’artist-run space Simian, à Copenhague, s’immisce dans cette voie avec la liberté malicieuse d’inverser deux lettres : « Sclupture 3D », quasi-pléonasme, rassemble alors une quinzaine de sculptures, dont l’apparence elle-même semble imparfaite. Ni faute de frappe ni dyslexie : en permutant les deux consonnes, le plasticien avertit ainsi de son intérêt porté à l’anomalie, et indique que l’erreur fait partie de son jeu.

Après avoir étudié à la HFBK Hamburg, Lindberg a été diplômé en 2013 d’un master en arts visuels de la Royal Danish Academy of Fine Arts, à Copenhague. C’est aussi là, dans sa ville natale, qu’il a entamé un travail à temps partiel consistant à vider les habitations de personnes décédées. Une anecdote qui revêt une importance essentielle, directement liée à sa pratique d’artiste ; à travers ces visites régulières, en pénétrant dans l’intimité d’autrui appartenant au passé, il a saisi l’opportunité de disposer d’un corpus d’objets, de jouets, de bibelots en tous genres, qu’il s’est approprié comme support de réflexion. Dès lors, à l’appui de cette matière première domestique – décorative ou fonctionnelle –, Mads Lindberg a enclenché une forme de circularité dans son processus créatif. Selon lui, « toute image a le droit d’exister au-delà de sa qualité esthétique et, pour cette raison, elle doit appartenir à une économie circulaire qui transgresse les paramètres imposés par le marché de l’art hiérarchique et élitiste ». De ces rebuts sans valeur, glanés en tant que babioles en passe d’être oubliées, il tire le portrait numérique en les passant dans un scanner 3D bon marché, disponible dans une bibliothèque locale. Poursuivant son goût de l’ordinaire, il active ensuite une étape du moulage grâce à un service trouvé en ligne, à laquelle il sous-traite également certaines décisions de finitions.

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À Simian, son solo show « Sclupture 3D » a ainsi réuni un ensemble d’oeuvres en polystyrène, au relief particulier. À demi reconnaissables, car boursouflées ou saturées, les formes moulées rendent compte d’un double constat : la dimension nostalgique et passéiste se matérialise par des surfaces rognées, grossières, mettant l’emphase sur la ruine – celle de l’objet d’origine auquel elles se rapportent – ; a contrario, l’utilisation de couleurs primaires et éclatantes, presque fluo, laisse percevoir une volonté d’affirmer la vivacité de ces choses. Ce versant s’exprime aussi dans la taille hors norme des figures, multipliée à hauteur humaine, transcendant le statut d’accessoire ou d’ornement désuet pour s’imposer comme trophée. L’ensemble célèbre la présence plutôt que l’oubli. Ici et là, parmi des formes plus immédiates comme une locomotive ou un chevalet, on distingue des sculptures anthropomorphes et zoomorphes, qui semblent figées dans une croûte colorée. C’est alors que l’on retrouve le fameux « crispy » dont parle Lindberg, et que l’on se projette dans une scène pompéienne contemporaine, dont les cendres d’un volcan surréaliste auraient recouvert ces corps abandonnés.