Maison de verre

Par Laurie Picout

cirva_dg2023_2013-9-2_willenz_hd.jpg

Si Jack Lang est reconnu pour avoir été à l’initiative de la Fête de la musique, il n’est pas de notoriété publique qu’il a aussi, en tant que ministre de la Culture, impulsé la création du Cirva en 1983 à Aix-en-Provence. Ce Centre international de recherche sur le verre et les arts plastiques, basé aujourd’hui à Marseille, est un lieu de formation et de création ouvert aux artistes et designers : parmi eux, Ronan et Erwan Bouroullec, Pierre Huyghe, François Morellet ou encore Pierre Soulages. Tous ont en commun un intérêt, ou tout du moins une curiosité, pour ce matériau aux multiples facettes, le verre.

FUSION ENTRE CRÉATION ET TECHNIQUE

À seulement quelques pas de la gare Saint-Charles de Marseille, dans le quartier de la Joliette, un vieux bâtiment industriel dissimule derrière sa façade d’époque en pierre et sa grande verrière un cœur battant. Cette ancienne manufacture de vêtements des années 1920 abrite depuis 1986 le Cirva. La création de l’association résulte du constat que la France apparaissait à la traîne en matière de création verrière, malgré son passé glorieux dans ce domaine lors de la première moitié du XXe siècle, avec notamment l’École de Nancy qui promeut les arts décoratifs auprès du grand public, les courants de l’Art nouveau et de l’Art déco pendant lesquels se succèdent des chefs-d’œuvre de technicité. Aujourd’hui, c’est sur plus de 1 400 m2 qu’atelier de soufflage, atelier de moulage, atelier de travail à froid, bureaux, espaces de stockage et lieux d’hébergement se côtoient.

Chaque année, le lauréat du festival Design Parade Hyères de la Villa Noailles ainsi que deux artistes ou designers sont invités en résidence par Stanislas Colodiet, conservateur du patrimoine et directeur de la structure depuis 2019. À raison de cinq à six semaines par an pendant deux années, le résident sera logé sur place et aura accès, seul, à l’ensemble des ateliers. « Nous ne sommes pas un lieu qui s’adresse aux verriers mais à des personnes qui ne connaissent pas encore le verre. Les compétences techniques liées au matériau sont présentes en interne ; notre équipe constituée de quatre techniciens et d’un responsable d’atelier (salariés de l’association Cirva) est là pour accompagner l’artiste ou le designer et travailler avec lui. Notre mission est de mettre ce savoir-faire au contact d’une créativité qui ignore tout de la technique. Et de cette ignorance résultent une force, des idées nouvelles, des habitudes bousculées. » Et cette mise en commun des savoir-faire de chacun est rendue possible grâce à la suppression de tous les intermédiaires entre l’artiste et le technicien.

averna-jacques_ja_000062640010.jpg
andreu-wendy_dscf9625.jpg

EN TOUTE TRANSPARENCE

En dehors de toute logique commerciale puisque subventionné par des institutions publiques – ministère de la Culture, DRAC Provence-Alpes-Côte d’Azur, Ville de Marseille, Conseil régional Sud Paca et Conseil départemental des Bouches-du-Rhône –, le Cirva prône une logique de recherche fondamentale sans obligation de résultat. Ainsi, les artistes ou designers peuvent développer leurs idées sur le temps long sans pression. Entre 1987 et 1989, Pierre Soulages y a réalisé près de 400 essais de verre dévitrifié dans le cadre de la commande publique des vitraux de l’abbaye Sainte-Foy de Conques. Dans le même esprit qu’avec ses peintures, l’artiste a souhaité jouer avec la lumière et la façon dont la matière pouvait la filtrer. Entre 2001 et 2006, c’est au tour des frères Bouroullec de venir travailler la fibre de verre cuite, le tressage du verre à l’image d’un textile et même la mise au point d’un verre mousse expansé. Loin d’en retirer des objets concrets, Ronan et Erwan se sont davantage positionnés en designers-chercheurs.

Actuellement en résidence au Cirva, Wendy Andreu planche sur le recyclage de bouteilles industrielles en verre destinées au rebut. Dans une logique de réemploi, elles sont broyées puis refondues pour devenir de nouveaux objets. « J’explore les principes de “faire avec des chutes” et “faire sans chutes” appliqués au verre (…) et surtout les procédés de moulage : une technique permettant de créer sans perte de matière, à l’encontre des techniques sculpturales » explique-t-elle. De son côté, le duo de designers Brynjar Sigurðarson et Veronika Sedlmair réalise une bibliothèque de nuances à l’aide de formules, compositions et mélanges de couleurs, afin d’étendre la gamme chromatique de l’atelier du Cirva. L’objectif étant de mettre ces nouvelles teintes à disposition des futurs résidents. Ils travaillent « sur une série de recettes et d’assemblages dans lesquels différents minéraux et couleurs sont mélangés dans le verre afin de créer quelque chose à mi-chemin entre le naturel et l’artificiel ». Les échantillons et tests réalisés au Cirva sont ensuite entreposés dans l’atelier dans le but de constituer une immense matériauthèque verrière. Pour Stanislas Colodiet, « à la manière des “nains sur des épaules de géants” du philosophe Bernard de Chartres, la recherche s’appuie sur les connaissances que les générations précédentes nous ont léguées, et d’autant plus au Cirva après 40 années d’existence et de projets fous ! »