L’inspiration par la matière
… les mains d’un ébéniste sculptant le bois, les doigts d’une céramiste modelant un vase sur son tour de poterie, ou encore la silhouette d’un souffleur de cristal avec, en arrière-plan, la lueur rougeoyante émanant de son four à creuset. Autant d’images d’Épinal qui laissent peu de place à la technologie et au numérique, comme si, finalement, l’association de ces deux univers relevait de l’oxymore. Et pourtant…
Dans les ateliers dijonnais de Cogitech, entreprise du Patrimoine Vivant fondée en 2000 par Sylvain Quidant et Olivier Mesplomb, artisanat et industrie s’entremêlent pour donner vie à des projets aussi millimétrés que poétiques. Éléments d’agencement, pièces de mobilier, microarchitectures, oeuvres d’art y sont réalisés sur mesure, tant à la main qu’avec l’aide d’appareils numériques, pour le compte d’architectes, de designers ou de marques de luxe. Un mariage heureux né d’une conviction : « La machine est un outil comme un autre, témoigne Sylvain Quidant. On entend souvent dire qu’elle dénature le geste. Pour ma part, je ne vois aucune différence avec un marteau ou une scie, si ce n’est que la machine nous est plus contemporaine et qu’elle permet de penser le processus de fabrication autrement. De plus, elle n’intervient que rarement lors de l’étape des finitions ; la main prend alors le relais pour apporter sa sensibilité à l’objet. »
Une conviction qui s’accompagne d’un penchant prononcé pour les expérimentations, parmi lesquelles le détournement de pratiques traditionnelles appliquées à d’autres champs d’action. « Mon associé et moi-même venons de l’industrie, poursuit l’entrepreneur. Notre premier savoir-faire, ce sont les matériaux composites qui, par définition, sont un mélange de plusieurs éléments.
Ce goût du mélange nous habite encore, si bien que nous nous passionnons toujours pour d’autres techniques. Prenez un luthier par exemple : la façon dont celui-ci va coller le bois pour fabriquer ses violons peut nous inspirer et nous permettre de développer une méthode que nous appliquerons alors à un autre matériau. »
Les matériaux, justement, occupent une place centrale chez Cogitech, si bien que Sylvain Quidant et ses équipes ne se contentent pas de les détourner. Mieux encore, ils en élaborent de nouveaux, plus responsables. « Depuis plusieurs années, notre travail est guidé par le sourcing et l’impact environnemental des matériaux. Nos recherches se sont accélérées avec la crise de la Covid et les difficultés d’approvisionnement qui ont suivi. Nous essayons de développer des alternatives simples et durables aux matières issues de la chimie lourde, en magnifiant, grâce à des procédés manuels et numériques, des ressources souvent jugées pauvres. » De ce travail exploratoire découle entre autres Minero, une gamme de mortier minéral pouvant être moulé, enduit ou modulé, selon la version choisie. Plus récemment, c’est une nouvelle matière conçue à partir de papier recyclé, moulé à froid puis séché à l’air libre, que dévoilait l’atelier. « Ce matériau a été développé à 100 % par notre équipe. Il nous a fallu environ six mois de recherches pour trouver la formule parfaite », se souvient Sylvain.
Bien sûr, qui dit innovation dit aussi application. Difficile, en effet, de promouvoir un matériau inconnu sur le marché sans en démontrer le potentiel. C’est dans cette perspective qu’est créée en 2020 la marque Manufacture XXI. « Nous avions besoin de communiquer sur nos savoir-faire et nos expérimentations.
Or, nous sommes soumis à des contraintes de confidentialité avec la plupart de nos clients. Notre ambition était donc de proposer un ensemble de collections issues de cette pratique du design qui place la matière et le procédé de fabrication en amont du processus de création », analyse Sylvain Quidant. Au catalogue, des pièces singulières et confidentielles, proposées en toutes petites séries et mettant chacune en œuvre une innovation conçue par Cogitech. Ainsi des élégantes collections Lithos et Luo, comprenant des bancs, des tables et des consoles réalisés avec du mortier Minero, ou de Cairn, surprenante famille de sculptures fabriquées à partir du fameux composite en papier recyclé. Cerise sur le gâteau : les modèles proposés par la firme peuvent tous être personnalisés, au niveau tant des dimensions, des coloris que des finitions. Et ce, dans le but « d’adapter le produit au besoin, et non l’inverse ».
À la croisée du sur-mesure, de l’artisanat et de la haute technologie, voilà une manufacture résolument ancrée dans le XXIe siècle.
