Pince à linge injectée • © Alexandre Echasseriau
À l’initiative de Rubis Mécénat, le plastique se pare de vertus insoupçonnées, à Madagascar. Depuis 2018, le laboratoire de design innovant et éco-humanitaire Ndao Hanavao fait de cette matière un outil d’insertion professionnelle pour la jeunesse locale.
Créé par le groupe Rubis, en 2011, Rubis Mécénat est un fonds de dotation engagé dans le soutien de la création contemporaine émergente en France, mais aussi dans le développement de projets humanitaires, éducatifs, sociaux, pérennes, à travers la pratique artistique, là où le groupe est implanté – Afrique du Sud, Jamaïque et Madagascar. À Antananarivo, depuis six ans, le fonds a mis en place Ndao Hanavao, laboratoire de design environnemental et social. « À Madagascar, la directrice du fonds de dotation Lorraine Gobin souhaitait développer un projet très engagé, explique Benjamin Loyauté, commissaire du projet et artiste. Dans ce pays parmi les plus pauvres du monde, cinquième en termes de nombre d’enfants non scolarisés, un projet de ‟design social”, à rebours du laboratoire de recherches ou des résidences pour designers, s’est naturellement imposé. Un projet salutaire, n’imposant aucun modèle occidental, mais qui réponde à long terme, à un enjeu local et actuel, avec des designers sensibles aux questions écologiques, politiques, sociales et humanitaires. »
Avec, notamment, les algues invasives, les déchets plastiques constituent l’un des grands fléaux environnementaux de l’île. Dans ce contexte, un projet autour de cette matière, dédié à la jeunesse malgache, a vu le jour. « Le laboratoire Ndao Hanavao s’adresse à des jeunes entre 19 et 35 ans, issus des communautés défavorisées de la ville d’Antananarivo, et provenant d’associations locales, spécialisées dans la réinsertion professionnelle, relève encore Benjamin Loyauté. Ils y viennent pour suivre une formation dispensée par de nombreux acteurs. » À côté d’enseignements sur le design et le recyclage, des cours de français et de formation entrepreneuriale leur sont dispensés, au sein d’un programme quasi sur mesure, fondé sur l’apprentissage, la création, et le développement personnel de chacun.
Pour ce faire, des ateliers de collecte et de transformation des déchets ont été, en premier lieu, organisés par des créateurs comme le Français Alexandre Echasseriau ou les designers franco-anglais de The Polyfloss Factory. Identifiés en amont, afin de « respecter le système économique, social, local, déjà mis en place », près de 500 kilos de déchets ont été recueillis depuis le début de l’aventure. Designer industriel et artisan, Alexandre Echasseriau a utilisé la technique de l’injection moulage, pour fabriquer des objets en série avec les apprenants. « Je n’ai rien inventé, explique-t-il, j’ai juste simplifié et adapté la méthode de la communauté internationale créative Precious Plastic, partageant librement ses techniques sur internet, à l’écosystème local. J’ai apporté un moule, afin que les jeunes puissent très vite, à l’atelier, fabriquer des objets, tout en démarchant des artisans locaux, qui ont dupliqué les formes. Les pièces que nous créons, comme des pinces à linge, des vide-poches, sont des objets ‟entre deux”, autrement dit de première nécessité mais commercialisables, de manière pérenne, dans les institutions. L’enjeu, c’est, qu’à terme, les jeunes acquièrent une autonomie financière et deviennent de futurs entrepreneurs. En fait, ce projet a une visée autant sociale, qu’écologique. » Parallèlement, l’atelier supervisé par le collectif franco-anglais The Polyfloss Factory a permis de métamorphoser les déchets plastiques en laine, grâce à ses techniques et équipements utilisés sur place. Collectée, nettoyée, broyée, la matière est transformée par l’entremise d’un procédé innovant, s’inspirant de la fabrication de la « barbe à papa ». Les fibres obtenues servent pour l’isolation, le packaging, les créations textiles, mais aussi des techniques de moulage.
Ndao Hanavao invite également d’autres designers et artistes à mener divers workshops. Si The Polyfloss Factory a conçu un luminaire, le plasticien malgache réputé Joël Andrianomearisoa a imaginé, entre autres, des pièces collaboratives à partir de laine Polyfloss, tandis que la créatrice française Laureline Galliot a réalisé un tapis inspiré des vanneries et des costumes Lambas. L’éco-designer malgache Carine Ratovonarivo a, quant à elle, réinterprété le tapis traditionnel Tsihy, alors que Benjamin Loyauté a fabriqué, avec sa communauté, de petites amulettes, au packaging conçu à partir de laine Polyfloss. « Je souhaitais revitaliser l’héritage immatériel local, souligne encore Benjamin. Ces porte-bonheurs, issus de ma série ‟100 %”, ont été dessinés par la société R’Art Plast, fondée en 2022 par six jeunes de Ndao Hanavao. Celle-ci a pour but de commercialiser les projets développés in situ, et fonctionne de manière circulaire. » Des créations qui ont été aussi remarquées lors de la Tana Design Week 2023 ou, en 2022, à Hakanto Contemporary, lieu d’exposition et de résidence dirigé par Joël Andrianomearisoa, comme à l’évènement « Ndao Hanavao ! La Magie du collectif », en 2020, à l’Institut Français de Madagascar.
Design, libérateur, social et exposé, le déchet plastique trouve, avec Ndao Hanavao, une existence vertueuse et économique inédite, dans un pays encore très fragile.