• Nitsa Meletopoulos, pichet de la série « Barbotine », 2021, porcelaine, émail, dimensions variables. Collection particulière • © Marine Leleu
Sculptures et objets, artistiques
ou utilitaires, résultent pour Nitsa
Meletopoulos d’une exploration plastique et tactile de la céramique, parfait point de rencontre entre les divers états des matières terrestres et minérales. « Cette trajectoire, ce processus de transformation par l’eau, le séchage et le feu, ne cesse d’animer ma relation avec la terre. Tout commence par une sorte de boue, à la pesanteur molle, où l’on peut jouissivement enfoncer ses doigts et laisser une trace ; puis, à travers le feu, l’argile devient cette fausse roche solide, rigide et brillante, qui peut finalement se révéler extrêmement précieuse », confie-t-elle. Du terriblement brut au soigneusement clinquant, l’artiste perçoit une métamorphose sans limite dans les possibilités de la matière.
Indissociables à ses yeux, conjugables entre ses mains, texture et forme s’apparient naturellement. « Je porte une attention démesurée au détail et au relief d’une surface, avec l’envie continue d’éveiller cette curiosité tactile. Dans ma pratique, j’utilise la texture comme un motif, un décor qui vient convoquer une présence à travers l’empreinte. Les empreintes proviennent de ce que je vois autour de moi, elles sont issues d’un vaste répertoire », précise Nitsa Meletopoulos. En ce sens, ses œuvres empruntent aux univers minéral, végétal et animal, pour fusionner en des entités hybrides et non déterminées, quitte à flirter avec l’abstraction – terme que l’artiste réfute, en défendant l’aspect « non figuratif » de ses créations. Lorsqu’elle modèle chaque volume avec ses doigts, elle sait précisément les références formelles qu’elle prélève du monde réel pour les intégrer à ces images nouvelles. Ils figurent pourtant comme des objets conçus dans un autre monde, et cette manière d’orchestrer inspiration et concept tend à relever de la nature morte surréaliste.
La fascinante étrangeté qui hante les céramiques de Nitsa Meletopoulos est aussi gouvernée par la couleur. D’un vert mat poudré vibrant à un noir épais craquelé, la céramiste considère l’importance de la « texture chromatique », en favorisant une palette aux reliefs divers. À la campagne, elle s’inspire quotidiennement des couleurs environnantes, indiquant y trouver « des intensités incroyables, des fluos humides sur les prairies, du rose pastel mat dans le ciel, et même, de l’orange psychédélique et gluant sur les champignons ». Ainsi, à l’appui de recherches qui se concentrent sur l’émail et sa complexité chimique, l’artiste développe des ensembles polymorphes de céramiques puisant dans des registres esthétiques cavernaires et vaisseliers. Pichets, gobelets, chandeliers, vases : Nitsa Meletopoulos ouvre un nouveau récit qui prolonge l’histoire ancestrale et transversale de la céramique, tout en jouant avec son éternelle proximité avec le quotidien, le foyer.
En convoquant les usages, les époques et la géographie propres à la céramique, l’artiste creuse dans une grammaire fonctionnaliste pour faire éclore ses objets contemporains. Parmi ses articles récurrents, le vase. « Tout comme le bol, le vase est une forme archétypale de la céramique. […] Il est comme une base, un cadre, une règle fondamentale à respecter. Ensuite, il est intéressant de l’amener à dépasser sa fonction quitte à ce qu’il devienne inutilisable. Car le vase a cette position particulière de se trouver à la frontière entre l’utilitaire et le sculptural. Lorsqu’il ne contient ni fleurs ni eau, ce n’est pas pour autant qu’on le range au placard : il se suffit à lui-même », indique Nitsa Meletopoulos. Une autonomie esthétique qu’elle justifie aussi par le vocabulaire technique décrivant l’objet : son galbe, son profil, son col ou encore son pied ; la charge anthropomorphe voire thériomorphe s’implique à travers des « allures » qui dérivent de son modèle antique envisagé comme une « coquille », un récipient destiné à contenir plusieurs choses : liqueurs, fleurs, parfums, dieux, images. Selon la céramiste, le vase est, en ce sens, « un vaisseau pour contenir et transporter des choses, réellement ou symboliquement ». Elle ajoute : « En ce sens, j’essaie d’habiter ou de rendre habitables mes vases. Formellement, le vase antique grec m’a toujours inspirée, notamment récemment avec la forme “cratère qui tient son nom d’un col plus ouvert en haut et qui évoque la bouche des volcans ».
Traversée, dans un premier temps, par de nombreux médiums tels que le collage et l’installation, la pratique de Nitsa Meletopoulos s’est radicalement transformée après sa formation à la Maison de la Céramique, à Dieulefit, dans la Drôme, en 2018, qu’elle a suivie à la suite de ses études aux Beaux-Arts. Depuis ce moment, elle se consacre exclusivement à la céramique et multiplie les projets entre les galeries et les foires, tant en France qu’à l’international. Presque magicienne, hors du temps présent et au-delà des frontières, Nitsa Meletopoulos parvient à dompter l’eau et les couleurs, le feu et les textures pour exposer une céramique vivante, magnétique.