Quand la résine prend forme

Par Laurent Catala

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Transparente et polyvalente, la résine joue de ses qualités naturelles pour mettre en valeur profondeur des couleurs et résonance lumineuse des pièces, notamment mobilières, qu’elle habille.

Naturelle, artificielle ou synthétique, la résine est une matière à la base de nombreux produits d’usage courant, qu’il s’agisse de biens plastiques ou textiles, de peintures, d’adhésifs, de vernis ou de mousses de polymères. Sa grande diversité d’utilisation rejoint sa large gamme formelle, avec plusieurs familles aux qualités variables (en termes de durcissement, de transparence, mais aussi de coût), parmi lesquelles on trouve entre autres l’époxy, le polyuréthane, le polyester, la résine UV ou la résine orthophtalique.

Les qualités intrinsèques de la résine lorsqu’elle entre dans la fabrication d’objets de décoration, mais aussi de mobiliers plus fonctionnels, n’ont pas échappé à l’œil ni à la main avertis des designers. C’est ainsi le cas de Paola Sabourin et Zoé Costes qui ont utilisé une résine polyester très transparente, non sensible aux UV (pour des questions de décoloration) et teintée, pour leur collection Boudins, une série d’objets constitués d’une succession de tiges se croisant dans d’amusantes vibrations formelles, à l’image de leur tabouret Stool. « Avec la collection Boudins, nous jouons sur le pliage et le collage de volumes en résine », expliquent-elles. « Chaque tige est coulée individuellement, puis poncée et polie. Nous venons ensuite leur donner leur courbure, puis chaque cylindre est collé à son voisin. Le liant est lui aussi une résine transparente et brillante, si bien qu’elle se fond dans la pièce qui paraît faite d’un seul moule. » À travers cette collection, les deux créatrices ont pu exprimer leur expérience de la matière résine. « Nous avons développé au fil des années un véritable recueil de recettes, issu de nos recherches en couleurs et transparences, que nous utilisons lors de chaque production d’objet et que nous continuons d’agrémenter », poursuivent-elles. « Par exemple, un milligramme de blanc peut donner un effet légèrement nuageux à une pièce qui nous semble trop transparente, de même qu’un ponçage plus poussé qui donnera à une surface un aspect lisse, presque savonneux que nous apprécions particulièrement. »

Car l’utilisation de la résine nécessite de multiples procédés de fabrication, permettant certes la réalisation de pièces de tailles très variées, mais relevant surtout d’une nécessaire appréciation technique de ce matériau. « La mise en œuvre de la résine peut paraître très simple : il s’agit d’un matériau liquide en deux composants, qui se coule dans un moule à froid », relèvent-elles ainsi. « Cependant, la moindre variation dans le dosage des pigments, des durcisseurs, ou même de la température ambiante lors de la réaction chimique peut provoquer des ‟accidents”, parfois heureux, parfois catastrophiques. Au même titre que pour le verre, le métal ou la céramique, il est important d’apprivoiser ses subtilités pour obtenir le résultat escompté. »

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Enveloppe et couleurs

Cette bonne compréhension de la matière résine est donc un passage obligé qui a séduit de nombreux studios de design à travers le monde. Le studio milanais Niko Koronis a créé une collection entière de pièces mobilières en résine intégrale, la G collection, où figurent banc, table basse, table console et tabouret. Sa dimension visuelle plastique enveloppante et translucide, clinique presque, insuffle à certains studios d’architecture des idées de design intérieur particulièrement originales. Le studio chinois Say Architects a ainsi mené un étonnant travail d’habillage décoratif des mobiliers de la boutique Lika Lab à Hangzhou en les recouvrant d’un véritable épiderme en résine. « Notre idée était de créer un espace dématérialisé, pur et propre pour valoriser l’intérieur de la boutique », résume Aura Huang de Say Architects. « La résine y entoure le mobilier comme un voile givré, et donne un rendu minimaliste qui replace naturellement l’attrait visuel sur les produits de la boutique et apporte une atmosphère apaisée à l’expérience consommateur ».

La résine peut encore s’associer à d’autres matériaux dans la fabrication de pièces mobilières, comme l’a imaginé le designer new-yorkais Quincy Ellis du Facture Studio pour sa Ripple Chaise Lounge. Cette adaptation de la classique chaise lounge utilise une structure en bois pour mieux associer profondeur formelle de la résine et rendu extérieur. « Cette technique me permet d’avoir de subtils changements dans la saturation des couleurs qui suivent les bandes horizontales descendant le long de la chaise et d’en renforcer le côté ondulant » précise Quincy Ellis. « La résine est pour moi le médium transparent parfait pour contrôler la saturation des couleurs et l’opacité. Le fait qu’elle soit liquide permet en plus de doser parfaitement son épaisseur. »

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Dialogue naturel avec la lumière

Une autre qualité essentielle de la résine est sa manière d’instiller un dialogue entre les ombres qui émergent de l’objet qu’elle compose et la lumière environnante. « Une des plus intéressantes propriétés de la résine est sa capacité à changer de manière infinie en fonction de l’éclairage qui l’entoure », convient Quincy Ellis. Cette interaction entre résine et lumière est donc au cœur de la création esthétique de nombreuses pièces comme les assises en résine acrylique des séries Lithos II et Lithos III d’un autre studio new-yorkais, Objects Of Common Interest – pièces par ailleurs présentées à l’occasion du bien-nommé programme d’installation Lights On à Bergame en 2023. Pour ces assises, la résine avait l’avantage d’apporter « une touche très vivante à l’objet, susceptible de changer en fonction de la lumière mais aussi de la température, du temps de travail et de la patte de l’artiste qui moule puis travaille manuellement sa forme », décrit la studio manager Savina Onisiforou. Les qualités de la résine permettent aussi « à la lumière de passer au travers, ce qui nous a particulièrement inspirés pour créer cet effet flamboyant dans ces formes presque rocheuses ».
Dans le sillage de ce prisme lumineux, il n’est pas étonnant que certains studios aient donc choisi de recourir à la résine pour concevoir directement des lampes et luminaires. Les designers indiens Utharaa L Zacharias et Palaash Chaudhary du studio soft-geometry ont ainsi conçu leur collection de lampes Elio en accolant des structures tubulaires en résine filtrant la lumière comme le ferait une seconde peau. « Notre référence était celle de l’enfance et des gelées de sucre glace », glisse à ce sujet Palaash Chaudhary. « Nous voulions créer un extérieur givré, pour disperser la lumière externe, et un intérieur transparent, pour obtenir une source lumineuse interne plus diffuse. » Encore plus spectaculaire dans sa forme massive et suspendue liant gros blocs de résine et réseau de LEDs serrées, le plafonnier Empyrean Suspension 01 du designer autrichien Laurids Gallée met, lui, directement en relation lumière et spatialisation de l’objet. « Les bandes LED de la pièce sont encastrées dans les blocs de résine teintée pour permettre la réfraction et la dispersion de la lumière », souligne celui qui se décrit lui-même comme un utilisateur expérimenté de la matière résine. « Je me suis inspiré pour cela de la façon dont la lumière agit à proximité des trous noirs dans l’espace. La pénombre surimposée autour de la lumière des LEDs conditionne la surbrillance à la fois chaude et atmosphérique qui transparaît et qui s’ajoute à la dimension géométrique et futuriste de l’objet. » Et si la résine prenait déjà rendez-vous avec le design de demain ?

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