Symposium

Après le succès de Prada Frames 2022, dédié au thème On Forest, la maison de luxe a réitéré le symposium sur le thème cette année de Materials in Flux. Le groupe de luxe a demandé au duo Formafantasma de l’organiser ; il a souhaité ainsi explorer la relation complexe entre le design et l’environnement. Le succès était au rendez-vous tant ces problématiques sont essentielles de nos jours. Throwback !

Dès le milieu des années 2010, les maisons et groupes de luxe ont entamé une réelle et profonde réflexion sur l’environnement au sens large du terme, tel Kering qui a même créé le podcast Fashion Our Future. De même LVMH, notamment avec la maison de champagne Ruinart qui fait office de trend scouter sur le sujet, est énormément regardé. Et le groupe Prada qui a initié, fin 2015, via sa Fondation, le projet « Corporate Social Responsibility ». Sept ans après, le groupe italien piloté par Patrizio Bertelli et Miuccia Prada, dont le fils est chargé du marketing et de la stratégie RSE du groupe, a lancé un symposium en mars 2022 au musée M+ de Hong Kong sur le thème On Forest. Un immense succès, au point que Prada a renouvelé ce format de rencontres et de conférences sur le thème cette année de Materials in Flux. Pour ce faire, Prada a demandé au studio Formafantasma d’organiser et gérer l’événement. Le studio, composé de Andrea Trimarchi et Simone Farresin, est connu pour son approche conceptuelle et critique du design. Elle se traduit par des projets innovants et parfois même provocateurs qui remettent en question les conventions traditionnelles de conception. Formafantasma est donc un studio de design basé sur la recherche qui étudie les forces écologiques, historiques, politiques et sociales qui façonnent la discipline du design aujourd’hui. On se souvient de son tout premier projet « Autarchy » (2010), autour du blé, qui proposait une façon autonome de produire des biens où la nature est cultivée, récoltée et transformée, pour nourrir et pour fabriquer des outils aptes à répondre aux besoins humains. On se souvient également de son projet « De Natura Fossilium » (2014), sur la lave du Mont Etna. Et encore plus récemment de sa série de pièces mobilières réalisées à partir d’éléments informatiques de récupération (claviers, tours et pièces d’ordinateurs…) qu’il avait présentées à la Fondation Cartier à Paris dans le cadre du group show Jeunes Artistes en Europe (2019). Le duo était donc parfait pour orchestrer les rencontres, les talks et les tables rondes du symposium.

« Nous avons pensé qu’il était pertinent de programmer ce symposium la même semaine que la Design Week à Milan où tant de professionnels du monde entier viennent pour découvrir les nouveaux produits. Nous souhaitions offrir en même temps un moment de réflexion et de rassemblement pour s’interroger sur la notion d’écologie. Nous avons mis en avant non pas le produit, mais la production de connaissances. Nous remercions Prada de nous avoir fait confiance. L’idée du symposium consistait vraiment à mettre l’accent sur le problème des déchets et à réfléchir de façon encore plus large. Et tout d’abord à comprendre si les détritus existent vraiment. Parce que tout est en transformation. Même le concept de déchets peut être une construction économique » expliquent de concert Andrea et Simone.

Cette deuxième édition a fait la part belle aux recherches de l’anthropologue Tim Ingold, qui considère les matériaux comme des entités vivantes interconnectées et sans cesse changeantes. Pour cette session de Prada Frames, l’accent a été mis sur les déchets en tant que matière en transformation,
et sur la façon dont la conception moderne peut les régénérer et trouver des moyens de pénétrer les écosystèmes.

Ainsi une foule d’experts de toutes les disciplines, y compris la science, le droit et la technologie, ont livré leur substantifique moelle lors de ces journées qui ont constitué un terreau fertile pour la recherche, l’exploration et l’intercommunication afin d’inspirer une conception réfléchie et durable dans notre écosystème en constante évolution.

Du 17 au 19 avril 2023, un programme de six sessions sur trois jours a réuni des chercheurs et des professionnels de divers domaines de recherche, dont bien évidemment l’anthropologue britannique Tim Ingold qui a ouvert ce symposium par une table ronde autour de son sujet de prédilection ; étaient également présents l’historienne de l’architecture, théoricienne et conservatrice Beatriz Colomina, l’architecte Mark Wigley, l’anthropologue Sophie Chao, l’inventrice et professeure de science des matériaux à la faculté des sciences de l’UNSW Australie Veena Sahajwalla, et le curateur d’art contemporain Hans Ulrich Obrist. L’événement s’est déroulé au Teatro Filodrammatici, l’un des plus anciens théâtres de Milan, situé non loin de La Scala.

Le programme était très dense. Une session s’est attachée aux systèmes et infrastructures actuels qui régissent les flux mondiaux de matières. La séance examinait les relations entre la « surabondance », les sites d’enfouissement et les pratiques de réutilisation. Une autre session a présenté les travaux des architectes, entrepreneurs, conservateurs et étudiants en design qui adoptent une attitude expansive envers le design et redéfinissent activement la relation entre la matière et les écosystèmes. En outre, une session explorait les cycles matériels qui vont des débris spatiaux aux systèmes digestifs, en mettant en évidence les potentialités des déchets, de la saleté, des excréments. Une session présentait également les géographies des déchets électroniques en insistant sur les modèles locaux de production et de soins. Une autre approfondissait la notion d’« indésirable » comme clé d’entrée pour examiner les terres désolées, les alliances interspécifiques et les sous-produits des cultures matérielles.
Ainsi en parallèle de l’hyperconsommation et de la semaine de monstration des innovations et des nouveaux produits qui font la réputation de la Design Week et du Salone del Mobile depuis plus de 60 ans, il était nécessaire voire urgent de semer les graines de la réflexion sur le futur de toute cette surproduction. Prada et Formafantasma l’ont fait avec brio. Il est désormais essentiel de placer cette notion très tôt dans l’idéation des projets de production d’un nouvel objet, encore, …