• Tabourets Intuitive Archaisme couleurs douces, Cédric Breisacher, 2023 • © Cédric Breisacher
À l’orée du Parc de Saint-Cloud, un bâtiment en béton armé aux accents Art déco se dresse fièrement depuis 1932. C’est l’œuvre de l’architecte Michel Roux-Spitz – aussi connu pour avoir participé à la réalisation de la BnF Richelieu à Paris – abritant à l’époque l’École Nationale Supérieure de Céramique. Classée Monument Historique en 1942, la construction se voit flanquée d’un édifice mitoyen quelques années plus tard, mais le déménagement de l’école en 1979 laisse les deux bâtiments sans réelle fonction. En 2019, une restauration complète des paillasses carrelées avec leurs lavabos en céramique blanche, des volets roulants en lames de bois ou encore de l’ascenseur d’origine, est menée par Emilie Autegarden, architecte chargée du projet au sein de l’agence de Marie-Suzanne de Ponthaud, architecte en chef des Monuments Historiques. Propice à de nouveaux usages, le projet accueille finalement le Jardin des métiers d’Art et du Design, communément surnommé Le JAD, en septembre 2022.
Initié par le département des Hauts-de-Seine et animé par un groupement d’associations (Groupe SOS Culture, Institut National des Métiers d’Arts et Make ICI), le JAD favorise l’apprentissage et la « fertilisation mutuelle » par le partage de connaissances, de pratiques et d’expérimentations via des workshops et des formations. Cette approche « par le faire » s’adresse à des artisans d’art et des designers, choisis à l’issue d’un appel à candidatures où la collaboration prime. « Par le biais de son Programme de Recherches et d’Innovations Collaboratives (PRIC), le JAD accompagne le développement de projets communs. Pour être intégrées, les initiatives doivent relever du dialogue entre métiers d’art et design ou de l’hybridation des savoir-faire. Elles doivent également présenter un caractère innovant, et contribuer de manière significative à l’évolution de la discipline, qu’il s’agisse d’évolution des savoir-faire, des usages, des formes, des matériaux et de leur emploi, etc. » indique l’équipe. Une fois sélectionnés, les créateurs peuvent profiter d’une vingtaine d’ateliers, d’espaces communs de travail et d’un MakerLab qui regroupe machines et outils numériques dont la prise en main est assurée par un Fabmanager sur place. Une programmation culturelle avec des ateliers de découvertes et d’initiation, des conférences et expositions, est également proposée au grand public. L’objectif du JAD étant de s’affirmer en tant que lieu culturel engagé dans la mise en lumière et la transmission de savoir-faire.
Aujourd’hui, le JAD accueille quinze créateurs, aussi bien céramiste, ébéniste, héliograveur, designer cuir, coloriste ou olfactif, sculpteur sur bois, plasticien, tisserand que sellier d’art. Parmi eux, le designer Martin Blanchard qui réalise des objets, meubles et espaces, pour lesquels il prend en compte les procédés de fabrication dès la conception, avec des matériaux toujours plus durables. « Cette résidence est particulièrement précieuse pour moi qui ai développé ma pratique au fil des projets, sans être passé par la phase de maturation et d’émulation d’une école de design » explique ce diplômé de master d’Histoire et d’Histoire de l’Art à La Sorbonne. Pour le JAD, il a notamment réalisé la scénographie de l’exposition « Sempervirens : objets désirables, pour un monde durable », en 2023, à l’aide de briques de terre compressées et de papier qui ont ensuite été réemployés et recyclés. Au JAD, il retient « la bienveillance du lieu, de l’équipe et entre les résidents », et estime que c’est « le contact quotidien avec les autres occupants, leurs techniques et leurs matières qui fait naître naturellement des idées et des collaborations ».
Dans le cadre de cette exposition « Sempervirens » au JAD, l’ébéniste et sculpteur Cédric Breisacher a pu dévoiler sa démarche circulaire et écoresponsable. Il recycle les copeaux produits lorsqu’il travaille le bois pour développer un nouveau matériau, obtenu par divers processus de compression et d’assemblage de ces copeaux, associés à un liant organique à base de pomme de terre. Par ailleurs, il a rencontré au JAD Marion Gouez, designer textile, avec laquelle il travaille « sur la question de la perception du monde végétal et comment la retranscrire dans le mobilier ». Un parfait exemple de cette « innovation collaborative » qu’il apprécie dans ce lieu « ouvert sur le monde, qui développe une programmation pointue et nous permet de rencontrer des acteurs du milieu de l’art, design et artisanat important ».
De son côté, Tony Jouanneau est designer textile spécialisé en ennoblissement, soit l’ensemble des traitements effectués sur le tissu (blanchiment, teinture, impression etc.). Il a fondé l’Atelier Sumbiosis dans lequel sont réunis scientifiques et artisans d’art dans la recherche et la création de matières biofabriquées. « Procédé de teinture avec des micro-algues, motifs dévorés par des insectes ou impression bactérienne sur tissus… mes recherches s’inspirent du principe vertueux de la symbiose pour imaginer une collaboration innovante entre le vivant et les matériaux souples » révèle-t-il. Il entame actuellement des recherches en collaboration avec d’autres résidents, avec l’idée de les mettre en pratique dans une œuvre commune car, selon lui, le JAD favorise « l’association symbiotique des savoir-faire de chacun ».
Le designer et plasticien Baptiste Meyniel aime travailler la matière et le volume, la preuve avec sa série de vases en verre soufflé dans des moules constitués de sections de poutrelles UPN, développée lors de sa résidence de recherche au CIRVA (Centre International de Recherche sur le Verre et les Arts plastiques, voir FORMAE #02). Pour lui, « le JAD s’est imposé de lui-même car c’est un espace qui permet par sa configuration et son ambition une porosité des pratiques et des idées. C’est très naturellement qu’a débuté, il y a plus d’un an, un travail à quatre mains avec Marie Levoyet, héliograveuse et imprimeur en taille douce, aussi au JAD. Ensemble nous poursuivons une recherche qui donne lieu à la création de motifs par insolations d’objets et à la mise en forme d’estampes pour aller vers l’objet ».
Le Jardin des métiers d’Art et du Design, nouvellement ouvert, stimule déjà de belles collaborations entre artisans d’art et designers. Et, si l’on en croit leurs retours positifs, l’institution semble avoir de belles années d’activités devant elle !