GGSV, du nom de ses fondateurs Gaëlle Gabillet et Stéphane Villard, s’est illustré cette dernière décennie à travers différents projets qui touchent au design de recherche et d’objet, à la scénographie et au commissariat d’exposition, ou encore, à l’architecture d’intérieur et des installations. « Nous n’avons pas les mêmes références mais nous avons une écriture commune. Nous arrivons, à deux, à un endroit où chacun n’arriverait pas tout seul. Nous sommes parfois surpris par le résultat de ce dialogue » déclare le couple qui s’est rencontré à l’École Nationale Supérieure de Création Industrielle (ENSCi-Les Ateliers) et dont il sort diplômé au début des années 2000.
En 2011, la vision du documentaire Green (2009) de Patrick Rouxel, dont le sujet est la destruction de la forêt indonésienne et la disparition de sa biodiversité, marque un tournant dans leur vie. Ils se questionnent alors sur le sens de leur métier dans notre société saturée d’objets et qui surexploite les ressources. La rencontre avec le philosophe Pierre-Damien Huyghe, auteur du livre Faire Place (2009), leur permet de trouver une réponse salvatrice : « Si nous voulons prendre soin de notre environnement, il faut littéralement produire des choses en plus pour générer des choses en moins ou limiter l’impact des choses existantes ». Ce constat donne naissance au projet de recherche « Objet Trou Noir » qui s’articule autour de la notion de désencombrement, en absorbant et transformant les déchets et en déspécialisant l’électroménager au profit de la polyvalence. Des objets noirs sont notamment fabriqués à partir de la vitrification de résidus d’épurations des fumées d’incinération des ordures. Ils ont la beauté de l’obsidienne ainsi que de grandes qualités thermiques. Ce projet manifeste, lauréat de la Carte Blanche Via 2011, a été l’acte fondateur de leur studio. Tout en poursuivant ces réflexions, le duo décide d’aborder plus largement la question du décor comme principe de réhabilitation des lieux et de transformation des espaces. Deux expositions illustrent leur pensée.
En 2015, GGSV est le commissaire de « Form follows Information » à la Biennale Internationale Design Saint-Étienne. Sa scénographie transforme une halle de l’ancienne Manufacture Française d’Armes et Cycles en une cathédrale avec six autels thématiques. La même année, il signe avec Juliette Pollet, alors responsable de la collection design et arts décoratifs du Cnap, « Zones de confort » à la Galerie Poirel, à Nancy. Les objets sélectionnés sont installés sur une grande moquette imprimée dont le motif cosmos donne l’impression de faire flotter dans l’univers les vestiges d’une civilisation indéterminée. L’installation atelier du duo, pour les 40 ans du Centre Pompidou, marque une nouvelle étape dans son travail en abordant la question de l’illusion.
Pendant un an, de 2017 à 2018, Gaëlle Gabillet et Stéphane Villard investissent la Galerie des Enfants de l’institution parisienne avec « Galerie Party ». « Lorsqu’on nous a contactés, nous nous sommes dit que ce qu’il y a de festif à un anniversaire, c’est de sortir tous les jouets de celui qui invite. Nous avons donc conçu 400 pièces d’un grand jeu d’assemblage qui sont des références formelles à certains sculpteurs, architectes, peintres, ou encore designers présents dans les collections du MNAM. » Ce voyage ludique dans l’histoire du musée s’est développé au sein d’un décor psychédélique en trompe-l’œil : les deuxième et troisième dimensions se mélangent, les repères spatiaux sont brouillés. L’artiste chinois Liu Bolin, connu pour ses mises en scène d’invisibilité, est convié à se fondre dans le décor au même titre que les enfants qui s’approprient librement l’espace et les formes. Ce serait toutefois se méprendre que de cantonner le couple à un style coloré et exubérant. D’un projet à l’autre, il parvient à s’adapter aux attentes de ses commanditaires. « On est un peu caméléon » glisse-t-il avec malice.
En 2019, après trois années de travail, le studio livre avec h2o architectes le réaménagement intérieur du Musée d’Art Moderne de la ville de Paris. Les comptoirs de l’accueil, de la billetterie et de la boutique sont proportionnés pour s’inscrire dans le prolongement des reliefs architecturaux majestueux, vestiges des années 1930. Des assises et des luminaires intemporels complètent ce hall d’entrée et lui donnent une allure domestique. Ce « mobilier fantôme », pour reprendre leur expression, s’efface au profit du lieu et de ses usages.
En 2020, c’est la Maison CHANEL qui leur confie l’aménagement complet de la future Galerie du 19M.
La Maison CHANEL sollicite GGSV pour l’assister sur la définition et l’équipement d’une galerie qui doit prendre place au cœur d’un bâtiment à la lisière du 19e arrondissement de Paris et d’Aubervilliers : le 19M. L’édifice, conçu par l’architecte Rudy Ricciotti, sort alors de terre. Il a pour objectif de rassembler sous un même toit onze Maisons d’art (le brodeur et créateur de tweed Lesage, le bottier Massaro, le plumassier et fleuriste Lemarié, l’orfèvre Goossens, etc.) et leurs équipes, réparties sur cinq niveaux.
Le projet de la galerie permet à Gaëlle Gabillet et Stéphane Villard de mettre en œuvre l’ensemble des préceptes qui les animent jusqu’alors.
« Le 19M est un lieu en rapport avec le travail de la main. Nous nous sommes dit qu’il fallait faire la même chose pour l’aménagement intérieur de la galerie. Nous avons fait appel à des artisans dont la mission était de travailler sur des objets à réhabiliter. Si le monde du luxe s’empare du recyclage, nous pouvons arriver à des esthétiques ambitieuses. C’est le savoir-faire qui donne de la noblesse à la matière. » Sous la supervision de GGSV, différents corps de métiers ont transformé des rebuts préalablement identifiés, les ont sélectionnés et repensés. Il était également important pour le duo de privilégier le circuit court : ce qui pouvait l’être a été fabriqué à proximité d’Aubervilliers.
Après trois années de chantier, la Galerie du 19M est inaugurée dans l’objectif d’accueillir des activités culturelles pluridisciplinaires centrées sur l’artisanat d’art. L’espace de 1 500 m2 est divisé en trois parties. La première prend la forme d’un hall d’accueil qui réunit une agora, un café et une boutique. La deuxième est un grand volume qui permet d’organiser des expositions, des conférences et des ateliers. Enfin, la troisième est un studio de travail en mezzanine qui peut se transformer en loge ou en showroom pour les Maisons. Ces différentes zones sont articulées grâce au mobilier qui a la particularité de donner un semblant domestique au lieu et d’être manipulable avec une manutention légère, cimaises comprises.
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Année : 2022
Adresse : La Galerie du 19M, 2 place Skanderbeg, 75019 Paris
Design d’espace : GGSV
Matières : papier, peinture, cuivre, bois, tissus et meubles recyclés