Je viens de grimper les nombreux étages d’anciens ateliers, en fond de cour
du numéro 100 de la rue de la Folie-Méricourt Paris 11e ; je suis tout juste assise dans les nouveaux locaux avec vues sur les toits fabuleux, et d’emblée, Christopher Dessus, fondateur (2017) et dirigeant de Paf atelier, aborde le sujet de la durabilité : « Nous n’avons pas d’autre choix dans notre métier que de nous y intéresser, de comprendre, de l’étudier à travers les techniques de réemploi, les modes de réutilisation, les opportunités de recyclage. »
Bien entendu, penser la durabilité dès la genèse des projets permet de s’inscrire en profondeur dans des cycles vertueux. Concevoir différemment est essentiel. Chez Paf, atelier de conception scénographique et architectural, l’une des voies est de réfléchir à des objets, des espaces plus réversibles. Il devient fondamental de s’ouvrir à la transformation des objets, de l’espace, de réfléchir à l’après, de maîtriser le potentiel de recyclabilité post projet, d’envisager un circuit. Paradoxalement, il est tout aussi important de créer dans la pérennité.
Dans cet esprit, Paf atelier a travaillé sur l’objet gonflable, l’utilise aujourd’hui au fil des conceptions. Au repos, dans les transports, dégonflé, l’objet est économe en espace. En scène, gonflé, il est léger, mobile et poétique. En témoigne le récent projet de la huitième édition de « Variations » qui s’est tenue en septembre 2023. Dans ce cadre, l’atelier a conçu et produit une scénographie pour le programme de Culturebox, un voyage mélodieux englobant musique classique, pop et électronique.
La lumière et le mouvement sont les paramètres essentiels autour desquels la scénographie de l’événement a été pensée. Surplombant la scène, un plafond lumineux, composé d’une répétition linéaire de gonflables et de lumières, est suspendu à plusieurs mètres de hauteur. Ces modules remplis d’air, accrochés à des rails métalliques, changent de position, de hauteur durant les concerts et participent activement au spectacle. Les gonflables blancs servent également de réflecteurs aux ambiances lumineuses colorées, incarnant ainsi les changements de « tableaux », traduisant l’identité de chacune des prestations artistiques. Sur le devant de la scène, deux échafaudages équipés de néons sont situés de part et d’autre du plateau accueillant les artistes. Il en résulte une installation lumineuse et cinétique, qui se transforme au gré des performances afin de s’adapter pleinement au concept du programme « Variations ».
Le story-board mis en place par l’atelier consiste en un paysage spatial, via une narration poétique et abstraite, « non-organique ». Émanant de cette structure métallique aux lignes courbes, l’éclairage et la fumée participent à la création d’ambiances différentes. Une atmosphère singulière, semblable à celle des pistes de décollage, se dessine. Les échafaudages font référence à des antennes terrestres, tandis que les gonflables évoquent l’apesanteur vibrant au gré de la musique.
Légère, l’installation est évolutive, modulable.
Christopher résume le concept : « À partir d’une seule et même scénographie, naît une multiplicité de décors. Les préfabriqués métalliques, aussi facilement montables que démontables, répondent au besoin de mobilité. Ils s’adaptent parfaitement au format éphémère de l’événement, ainsi qu’au système de réemploi des matériaux auquel s’attache l’atelier dans la réalisation de ses projets. » Afin de produire ce décor, Paf atelier a réutilisé les gonflables provenant d’un précédent projet (« Collectible », 2023). Les échafaudages ont, quant à eux, été empruntés au théâtre accueillant l’événement. Nous travaillons avec les stocks existants de ballons, précise Christopher, avec de la matière réutilisable, réparables avec des rustines le cas échéant. Ces ballons, nous les bichonnons.
Certes, l’effet est spectaculaire pour un impact minimal, par exemple, sur le volet transport.
Fruit d’une carte blanche offerte avec le Théâtre du Châtelet, cette scénographie, d’ailleurs, fait l’objet d’une véritable collaboration avec les équipes techniques du théâtre. Elle répond ainsi à toutes les contraintes techniques de la mise en scène et de la captation vidéo des concerts, prévue pour être retranscrite sur France Télévisions.
L’esprit est généreux. Plus d’une dizaine de projets au cours de l’année 2023 et des bulles de réflexion comme en témoigne le rendu de workshop, mené avec les étudiants de l’université de Montréal, exposé au Centre de Design, sous le titre « Les langages du possible », Christopher n’ayant pas hésité à répondre à l’invitation avec son équipe. La volonté était de décupler les possibilités d’agencement. La contrainte était le réemploi d’éléments utilisés dans le précédent projet « Collectible » : les cordes et les gonflables. L’exposition s’inscrit dans une démarche pluridisciplinaire alliant la réalisation d’esquisses, la création scénographique, le montage de l’installation et la signalétique.
Collectible justement, quèsaco ? Toujours en 2023, Christopher est invité à concevoir une intervention scénographique lors de la sixième édition de
« Collectible », foire internationale de design contemporain à Bruxelles.
Paf atelier décide d’y prendre de la hauteur. À contempler de différents points de vue, la structure sert de repère spatial. Elle évite d’interférer avec la lisibilité des œuvres présentées. Matérialisant un point de départ et d’arrivée de la foire où l’on vient aussi pour se rencontrer, cet ensemble de formes propose une narration qui oscille entre gravité et principe de répétition. Ce projet, considéré comme la cristallisation du travail de Paf atelier, s’inscrit dans une démarche responsable, éthique et durable grâce aux choix des matériaux, des techniques de construction et de l’application des savoir-faire locaux. L’inspiration remonte aux années 1970 prolifiques, période où l’architecte Yutaka Murata, lors de l’Exposition universelle d’Osaka, présentait son iconique structure gonflable. Un hommage aussi.
Pour la scénographie d’« Expressive Itinérance Design », réalisée en compagnie de GGSV, dans le cadre de la Paris Design Week 2023, il est aussi question de parcours, d’un autre type de parcours, une sorte de chemin initiatique. Axée sur une expérience pluridisciplinaire dédiée à la réinvention des modes de vie, cette exposition est présentée à Electric Paris.
« Réalisé par les fondateurs et co-curateurs Jean-François Declercq, Marie Godfrain et David Herman, défenseur du design d’auteurs indépendants, cet événement est voué à donner un souffle de renouveau à travers la présentation d’un large éventail de talents », précise Christopher. Pour l’événement, l’atelier travaille sur une mise en lumière entre innovations formelles et conceptuelles. Qu’est-ce qui nous permet de rester à flot ? En abordant cette question, cette nouvelle scénographie s’inspire de l’univers maritime et du souhait de déterminer, de manière collective, son futur créatif, à travers la question du design, de l’art et des pratiques collaboratives.
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Retrouvez l’intégralité de l’article dans FORMÆ 2 daté janvier — mars 2024