« Ah ! tu fais de la couture ! »

Par Alice Emery, Mathilde Pecqueur et Salomé Corvalan, Maak & Transmettre

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Le rideau de saison, Maak & Transmettre, 2024 • © Lucile Dizier

Le nom de notre collective bruxelloise Maak & Transmettre évoque deux pans d’activités : Maak venant de maken en néerlandais ce qui signifie « faire ».

Le « faire », designer, travailler à rendre les choses fonctionnelles pour toustes, c’est ce qui nous a réunies. L’expérimentation, la mise en espace, la projection par dessin ou par maquette rythment nos projets. Cela a donné naissance au fil des années à une collection de textiles pour l’intérieur. Ceux-ci sont des objets à part entière : rideaux, tapis, claustras, glissant peu à peu vers le mobilier. Il s’agit là de design industriel et textile. Alors pourquoi lorsque l’on se présente comme designeuses, spécialisées dans le textile, la réaction est souvent la même :

« Ah, tu fais de la couture ! »

Bien souvent cette remarque émane d’ailleurs de nos homologues masculins – designers industriels –, le textile étant vu comme une sous-catégorie du design, de ce que le boys-club considère comme moins valorisant. Pourquoi une femme qui crée, crée forcément de manière domestique ? La domesticité serait-elle encore la seule catégorie dans laquelle il serait acceptable de nous caser en tant que designeuses ? Comment, dans des études majoritairement féminines, les hommes restent ceux qui atteignent des postes de prestige ? Pourquoi ne sommes-nous pas considérées comme des spécialistes de nos métiers ? Ceux-ci seraient moins « techniques », moins essentiels, presque de l’ordre du hobby davantage qu’une profession. Se pose alors la question de la rémunération. Si notre travail n’est pas considéré comme un métier, comment justifier nos salaires ?

C’est de ce constat qu’ont été créées nos conférences « Celles qui font le design » qui se déroulent chaque rentrée à Bruxelles. Les femmes dans le design évoluent dans des domaines professionnels pointus et techniques. Elles travaillent ! Elles se battent, nous nous battons, pour être rémunérées. Nous voulons être valorisées autrement qu’en faisant du beau et du care*.

Où sont ces femmes que l’on ne retrouve ni dans les livres d’histoire ni dans ceux de design ? Pourtant il existe une généalogie féminine, enfouie mais bien réelle, que nous devons exhumer. Le chantier est vaste mais nous savions dès le début que cela nous mènerait à rencontrer une communauté prête à œuvrer avec nous et à apporter sa pierre à l’édifice de la sororité.
Notre ambition ? Rendre justice à celles qui sont oubliées, effacées. Nous ne revendiquons pas l’origine d’un mouvement, mais nous affirmons l’urgence de son existence, d’autant plus fragilisée par le contexte politique mondial actuel.

C’est dans cette dynamique que le volet « transmettre » de nos activités prend tout son sens. Il ne s’agit pas seulement de partager un savoir, mais d’échanger des expériences et de confronter nos regards comme avec notre projet « Le tapis comme langage », un atelier réunissant des femmes en alphabétisation. Un moment de cocréation où se rencontrent des histoires, des symboles. Parmi eux, la fenêtre, un motif récurrent dans nos créations, métaphore de ce que nous tentons de construire : une ouverture, une multiplicité de perspectives qui enrichit notre compréhension du monde à travers le design.

Ce regard est essentiel ! Nous le posons sur ces femmes multiples, ces personnes finta** en les mettant en lumière. Stopper leur invisibilisation et reconnaître la richesse de leurs savoirs. Pouvoir enfin affirmer : « Ah, elles font du design ! ». •

*Care
« prendre soin, s’occuper de »
Rôle souvent assigné aux femmes en raison des rôles genrés traditionnels.

**Finta
Femmes, personnes intersexes, personnes non-binaires, personnes trans ou agenre