À travers son agence d’architecture intérieure et de design – Emilieu Studio –, Paul Emilieu projette des solutions alternatives, alliant écologie, économie
et esthétique.
Pour les uns, l’architecture intérieure à faible impact écologique s’impose du cadre législatif. Pour les autres, elle découle d’une contrainte économique, ou s’inscrit dans la continuité d’un héritage idéologique. Inspiré par ses parents, pionniers dans la transformation de produits bio sans gluten via des équipements de réemploi, Paul Emilieu a ancré cette approche dans son travail.
Le premier projet de son studio en témoigne. En 2011, il signe la scénographie de l’œuvre de l’artiste Yann Toma, Dynamo Fukushima. Le dispositif original invite les visiteurs à pédaler sur des centaines de vélos pour éclairer le Grand Palais, démontrant l’efficacité des énergies renouvelables. Au fil des années, sa démarche évolue avec l’apport structurant des lois, notamment la loi AGEC, relative à la lutte contre le gaspillage et à l’économie circulaire, qui étend progressivement les obligations de réemploi. Il collabore avec des institutions publiques, les premières concernées, pour concevoir des éléments réutilisables à long terme, comme la Réunion des musées nationaux.
« Faire du neuf s’avère parfois la meilleure option, pour des raisons de durée de vie. » Emilieu Studio aborde tout projet par une analyse en contexte centrée sur l’usage, révélant comment chaque décision architecturale peut transformer les interactions sociales et notre manière d’habiter. L’architecture intérieure, souvent négligée sur ce point, est envisagée comme un levier écologique majeur. Une réflexion que Paul Emilieu amorce dès l’intégration de l’école Camondo en s’entourant de sociologues, économistes, philosophes (ndlr Bernard Stiegler), et spécialistes en sciences de l’organisation, en vue de théoriser et d’appliquer
ses fondamentaux.
Chercheur, architecte d’intérieur, designer, auteur… Les multiples facettes de Paul Emilieu reflètent l’étendue de son champ d’intervention. À son image, Emilieu Studio imagine des aménagements modulables et durables, adaptés aux nouveaux modes de management et d’apprentissage, où le sourcing, le réemploi et la valorisation des ressources jouent un rôle pivot.
Pour l’aménagement de l’école Camondo de Toulon, projet lauréat des Dezeen Awards dans la catégorie architecture intérieure, tout le mobilier a été fabriqué à partir d’un matériau existant. Ennoblies de peintures décoratives, fac-similé de faux marbres revisités aux couleurs des pierres locales, ces créations ne se limitent pas au réemploi : elles nous prouvent que des techniques séculaires issues des arts décoratifs peuvent soutenir une écologie désirable pour les générations futures. •
Comment la durabilité évolue-t-elle dans l’architecture intérieure ?
Loin des effets de communication, la seule chose qui a réellement évolué ce sont les lois, mais je reste optimiste. Il y a dix ans, l’écologie était encore marginale. Aujourd’hui, la dynamique des entreprises est là. Certes, l’impulsion émane plus d’un impératif que d’un choix, mais elle favorise le développement du réemploi. Pour preuve, les initiatives expérimentales dédiées au sourcing et aux gisements de matériaux de réemploi se sont structurées et multipliées. L’enjeu réside désormais dans la création de filières, avec la logistique et les capacités de stockage que cela impose pour renforcer notre impact.
À quels organes de mesure et labels de confiance peut-on se fier ?
Il existe des labels comme B Corp pour évaluer l’intégrité des entreprises et des normes comme la RE 2020 plus spécifiques aux bâtiments qui influencent l’architecture intérieure au niveau de l’isolation… Néanmoins, les outils de mesure d’impact restent rares dans le milieu, et trop coûteux pour les PME. Encore une fois, c’est surtout la loi AGEC qui fait foi avec l’instauration de l’indice de réparabilité, facteur d’écoconception. Malheureusement, l’indice de durabilité, également prévu, a été abandonné pour les smartphones. Et on peut craindre une accélération de la dérégulation dans le contexte international actuel.
Sur quels projets travaillez-vous actuellement ?
Nous développons une série d’objets en chutes de marbre, avec une double optique écologique et économique : valoriser les matériaux d’un artisan marbrier par un processus de mise en oeuvre optimisé. Ces pièces, imaginées en collaboration avec le studio mo-mo, associent les savoir-faire de l’artiste sculptrice Audrey Guimard et de l’ébénisterie Mobilier Singulier.
Par ailleurs, nous travaillons sur l’aménagement de la Villa Hegra, nouvelle institution d’art et de culture franco-saoudienne, qui ouvrira à l’horizon 2027.
Un projet transversal qui implique aussi bien l’architecture intérieure de la villa temporaire, que le mobilier des ateliers d’artistes et l’assistance à maîtrise d’usage (AMU). Enfin, je prépare un nouveau livre avec Marin Schaffner sur l’architecture intérieure et l’écologie. •