Atelier François Pouenat x Ombre • © Victor Fleury Ponsin
Viollet-le-Duc commentait déjà au XIXᵉ siècle dans son Encyclopédie
médiévale : « Pour ces forgerons des XIIᵉ et XIIIᵉ siècles, le fer semblait être une matière molle et facile à souder comme l’est la cire ou le plomb, et c’est à grand-peine si quelques très rares ouvriers de nos jours parviennent à façonner des pièces de cette nature, alors fort communes. »
Utilisé par les forgerons, autrefois appelés « fèvres », le fer pur a été lentement remplacé par l’acier, un mélange de fer et de carbone. Le travail du métal à chaud s’en est trouvé profondément transformé. Les gestes ont été modifiés ; beaucoup ont été oubliés. Le rapport même au métal a changé, au point que les créateurs l’interprètent désormais comme une matière froide et sévère. À l’inverse, le fer est comme le bois, une matière fibreuse. On peut y apercevoir des veines qui suivent de manière organique la forme de la pièce modelée. On peut également établir un parallèle avec le travail du verre : dans les deux cas, on assiste à une danse des corps et des mains autour d’une matière hypnotisante ; incandescente.
Avec l’oubli du fer et de sa sensibilité intrinsèque, l’artisan a ainsi perdu une partie de son savoir-faire, et le designer, une capacité de dessin.
Alors que l’acier se montre réticent et rigide même au feu, le fer, lui, se corroie, se modèle, se fend et se soude aisément. Tendre et volontaire, il se prête au façonnage. Il se donne aux mouvements, au feu, à l’artisan, restituant pleinement le savoir-faire de la forge. Par son aspect, ses teintes, et sa capacité à être façonné, le fer est une matière d’une richesse exceptionnelle. Je suis convaincu que c’est en nous replongeant dans son histoire et en menant un travail d’expérimentation en atelier que nous pourrons redonner vie à cette matière.
En fouillant dans des archives, dans des ouvrages relatant les techniques anciennes, et grâce aux témoignages de compagnons, mon agence Ombre et l’Atelier François Pouenat ont redécouvert des gestes oubliés, comme la soudure à la forge. En chauffant le métal jusqu’à ce qu’il soit « blanc ressuant », nous parvenons à souder deux éléments de fer pur simplement en les frappant l’un contre l’autre. Cette technique permet de redécouvrir des assemblages connus, tels que le « bout à bout », le « gueule de loup » ou encore le « chanfrein », en leur conférant une apparence fragile, magique.
En effet, la ferronnerie fascinait autrefois les plus grands rois, comme Louis XVI ou François Ier. La soudure à la forge conférait au fer une dimension magique, que l’on perçoit encore aujourd’hui sans peine. Le fer est vivant. Il collabore avec l’artisan, mais aussi avec le créateur d’objets ou d’espaces.
Alors que le dessin autour du métal s’est progressivement durci, asséché, pour offrir malgré lui une rudesse et une froideur, il est essentiel que les créateurs se réapproprient le fer afin de proposer un métal sensible.
De la même manière que l’ordinateur a influencé notre façon de tracer des lignes toujours plus droites et intransigeantes, l’acier a appauvri le trait du designer. Les pièces façonnées à chaud, encore principalement en acier, limitent les possibilités du forgeron. Emprisonné par l’acier, le créateur pourrait, avec le fer pur, dessiner des lignes plus fluides, plus sincères. L’aspérité, les veines du fer, et la douceur de ses courbes sont autant de qualités qui pourraient enrichir le trait du designer et conférer à ses pièces une part d’aléatoire, précieuse pour exprimer sa sensibilité.
Ainsi, ce n’est pas seulement à l’artisan de redécouvrir ce matériau pour préserver son savoir-faire ; c’est également au créateur de s’en emparer, de visiter les ateliers pour observer cette matière en fusion, vivante, et, par la suite, la dessiner afin de lui redonner son image originelle, empreinte de chaleur. •