sous la curation de Kamel Brik, expert en matériaux

Les épluchures font peau neuve

Par Louise Conesa

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Bioblastic detail, Barbara Baffy • © Barbara Baffy

Les déchets alimentaires ne concernent plus seulement le monde culinaire : aujourd’hui, ils sont la préoccupation de designers engagés et curieux. Les épluchures, par exemple, se transforment en tissus, en cuir, en plastique, prennent la forme de lampes ou de vases. Cependant, ces biomatériaux soulèvent des questions : Qu’en est-il de leur cycle de vie ? De leur évolution ? Cinq créateurs explorent cette thématique et transforment les déchets en innovations.

Repulp : l’avenir des agrumes

Les agrumes, trop acides pour être compostés, deviennent souvent des déchets non valorisés dans la restauration. Face à ce constat, Victoria Lièvre a fondé Repulp, un label qui offre une solution durable. Ces résidus alimentaires sont déshydratés, réduits en poudre, puis transformés en granules pouvant prendre diverses formes. Des tasses de café aux luminaires imprimés en 3D fabriqués à partir des propres déchets de production, ce biomatériau illustre une approche circulaire. Malléable et polyvalent, il ouvre la voie à des créations allant du petit objet aux pièces décoratives ambitieuses.

Loumi Le Floc’h : des épluchures sacrées

Avec son projet Precious Peels, Loumi Le Floc’h revalorise les épluchures d’aubergine pour en faire un matériau précieux. D’un seul élément, elle développe une variété infinie d’applications, dont le vitrail, projet expérimental, est un manifeste. Séchées et insérées entre deux plaques de verre, les épluchures révèlent des textures surprenantes et des teintes inattendues, allant de l’ocre au rose. Quant à la question du cycle de vie, si les épluchures sont peu transformées, elles n’en demeurent pas moins pérennes, protégées entre le verre, permettant à la jeune créatrice de travailler sur de plus grandes échelles telles que des portes vitrées ou des cloisons.

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Agnès Dosmas Krier : l’action du temps

Dans une démarche proche, Agnès Dosmas Krier travaille les épluchures alimentaires en tissage, mais laisse le temps transformer la matière. Avec un geste spontané, elle entrelace les épluchures qui, à l’air libre, se transforment, s’assèchent, perdent en élasticité et en couleurs. Architecte de formation, elle développe cette expérimentation et passe du tissage 2D au 3D en créant une cabane éphémère. Conçue pour l’exposition « Locus Solus » à la galerie Amélie Maison d’art, elle manifeste cette réflexion sur le passage du temps. De jour en jour, la composition en damier se révèle autrement.

Barbara Baffy : un bioplastique éphémère

La question du temps est également présente dans le travail de Barbara Baffy. Comment réutiliser des déchets tout en garantissant un retour à la terre sans pollution ? La designeuse y répond avec la création d’un plastique biodégradable conçu à partir de résidus alimentaires. D’une simple préparation, elle réussit à modifier leurs propriétés sans en modifier la pérennité. Exposé aux éléments naturels, il se décompose en un mois. Mais conservé en intérieur, il peut perdurer autant qu’un matériau conventionnel. À l’image des abat-jour créés en collaboration avec Blum & Wolf. Réalisés à partir de ce biocomposite plié et coloré à l’aide de substances naturelles, ces objets de décoration portent le message de la durabilité et de l’éphémère.

Peelsphere : un cuir alternatif

Si les déchets alimentaires inspirent la création d’objets, il animent aussi le monde textile. La designeuse textile Youyang Song, s’y est penchée pour révolutionner l’industrie. Son label Peelsphere en est le résultat. En associant déchets de fruits et algues, elle développe une alternative au cuir, flexible, imperméable et 100 % recyclable. Broyés, mélangés à des bioagglomérants et transformés en fines feuilles, ces matériaux s’adaptent à une multitude d’usages : vêtements, boutons, accessoires. Brodé, tissé ou découpé au laser, Peelsphere incarne un modèle circulaire et durable, ouvrant de nouvelles perspectives créatives et engagées. •

par ordre d’apparition : Black radish peel, detail, Agnès Dosmas Krier © Sébastien Krier • Aubergine peel surface area, Precious Peels © Precious Peels