En considérant le pollen comme un médium artistique autonome, Jonathan Bréchignac signe un nouveau corpus d’œuvres qui souligne les fluctuations du monde moderne et leur impact sur la nature. Pour l’artiste, né en 1985, créer relève d’un acte multisensoriel, où l’appréciation du regardeur est inhérente à l’environnement de l’œuvre et aux matériaux qui la composent. Fasciné par les phénomènes naturels qui évoquent la complexité du monde – ses précédents travaux saisissent les dimensions minérales et végétales –, l’artiste développe sa pratique en mettant à l’épreuve la compréhension humaine et son impact sur la nature.
Depuis plusieurs années, ses créations se situent à la croisée de la découverte scientifique et des mythes : « Mon travail est traversé par une esthétique cérémonielle et symbolique, ainsi que par une influence du monde scientifique. J’aime qu’il y ait une double lecture dans les pièces que je crée. Je cherche aussi à maximiser l’expérience sensorielle tout en cultivant une approche la moins bavarde possible. Parfois, cela est complexe car, lorsque je m’immerge dans un sujet, les ramifications sont infinies. », indique-t-il.
Lauréat du dernier prix Yishu 8 Boucheron, qui offre une résidence de deux mois à la Maison des arts de Pékin, Jonathan Bréchignac a pu réaliser un projet en immersion en Chine grâce au soutien d’une équipe dédiée et d’un accompagnement financier. Une opportunité saisie au printemps 2024, qui lui a permis d’explorer les potentiels plastiques du pollen, tout en sachant qu’il appartient à la pharmacopée de la médecine traditionnelle chinoise et que la région regorge de conifères. « Je trouvais intéressant d’explorer cet élément commun à nos deux civilisations. J’ai ainsi choisi que ma venue coïncide avec la période où la kyrielle de pins noueux qui jalonnent la ville fleurissent pour pouvoir me consacrer à ce projet », confie-t-il.
Il se remémore l’origine de cette idée : « Un jour de printemps en Provence, j’ai grimpé sur une branche de pin de laquelle s’est échappé un épais nuage de poussière jaune. Cela m’a rappelé que, chaque année, durant un court moment, ces arbres recouvrent tout ce qui les entoure d’une fine couche de pollen. Il suffit alors qu’il pleuve pour qu’il se concentre par endroits et dessine de curieux méandres d’un jaune vif qui paraît surnaturel. Cette observation m’a donné l’idée d’en récolter le plus possible et d’entamer un travail autour de ce matériau qui s’avère être un véritable trésor de la nature. En poussant mes recherches, j’ai découvert l’univers étrange des pollens, leurs propriétés physiques, formelles et sémantiques captivantes. » Ainsi l’artiste-expérimentateur a-t-il développé à partir de cette poudre végétale un panorama d’œuvres polymorphes, dont le liant est cette couleur mi-miel mi-soleil qui se retrouve glissante sur des surfaces planes ou capturée dans des volumes de verre.
Intitulé L’Éclosion du temps, ce projet se détermine par un ensemble de sculptures et de peintures qui jouent avec les propriétés naturelles du pollen. Multipliant les formes ovoïdales – en écho à la structure même des grains de pollen – et les motifs organiques puisés dans la nature, Jonathan Bréchignac conjugue les aspects physiques et symboliques du médium végétal : indéniablement liés au temps comme au cycle du vivant, ils évoquent « l’origine, la propagation, le voyage et le fragile équilibre des écosystèmes naturels. »
Dans ses sculptures, rien n’est statique. L’invitation à la manipulation, tels des sabliers ou des gyroscopes, implique l’activation d’un écoulement jaune vif qui défie la gravité, grâce à des structures en métal. « Les objets métalliques que j’ai conçus ont une fonction principale : ils servent de socle pour recevoir la forme dans laquelle le pollen est enfermé. En plus de cela, je souhaitais qu’il soit possible de chauffer de la résine de pin sur des brûleurs, afin de libérer l’odeur qui fait partie intégrante de la sculpture. Dans un autre cas, ces objets comprennent un système gyroscopique qui permet de faire tourner la forme contenant le pollen sur tous les axes. Cela accentue l’impression que cette poudre jaune est en apesanteur. Le gyroscope évoque à la fois les cadrans de navigation de navires qui ont contribué à l’exploration du monde, et les gyroscopes utilisés plus récemment dans la conquête spatiale. Cela symbolise le voyage et la découverte », explique Jonathan Bréchignac.
Sur la toile, l’artiste reprend cette esthétique des méandres observés en
Provence. Le pollen est ici un pigment à part entière, et les motifs qu’il révèle rappellent le dripping tout en invoquant l’énergie de la nature. Sans pour autant s’inscrire dans une démarche militante écologique, Jonathan Bréchignac manifeste ici la puissance d’un sujet environnemental qui questionne les changements et les bouleversements du monde, notamment causés par la société moderne. •
photos : 3D printing, varnish and pine pollen, 20 x 12 x 11 cm, 2023 • Jonathan Bréchignac • Pine pollen June 24, Jonathan Bréchignac, pine pollen, acrylic and medium on canvas, 200 x 150 x 3 cm, 2024 • Pollen, Jonathan Bréchignac • Gyropollen, Jonathan Bréchignac, pine pollen, resin, steel, 2024 • Pine pollen June 24, Jonathan Bréchignac, pine pollen, acrylic and medium on canvas, 200 x 150 x 3 cm, 2024 • © Courtesy of the artist, Jonathan Bréchignac