Residue Soft Remains series, Sara Regal © Maria Baños
À Majorque, l’artiste Sara Regal explore le potentiel des résidus industriels comme médium artistique. Elle façonne des fragments épars en pièces sculpturales, oscillant entre construction et déconstruction. Son processus, à la fois lent et intuitif, puise dans l’artisanat local vernaculaire et la complexité de l’ère moderne, où héritage et mutation dialoguent. Un manifeste de résistance face à la surproduction et aux standardisations globales.
Reliefs aléatoires, formes abstraites, matières imparfaites, textures brutes et minérales : avec sa série Residue: Soft Remains, Sara Regal détourne des chutes de chantier en une déclinaison d’assises insolites. Leur ergonomie volontairement ambiguë brouille les frontières entre fonction et sculpture. Dévoilé en juin dernier dans le studio de la créatrice de mode Cécilie Bahnsen à l’occasion de l’événement Three Days of Design à Copenhague, ce travail s’inscrit dans une démarche d’expérimentation et d’upcycling qui constitue le cœur de sa pratique.
« J’ai superposé divers morceaux de panneaux et isolants comme les couches d’un gâteau. Puis j’ai modelé chacun d’eux en jouant avec les formes et les effets de matière : certains très bruts, conservant les chutes en l’état, d’autres plus texturés avec de la fibre de bois ou du liège », explique-t-elle. Le tout, nappé d’une peinture haute résistance projetée au pistolet, vient figer les irrégularités.
Son goût pour l’expérimentation et le réemploi des matières ne date pas d’hier. Originaire de Galice, Sara Regal a suivi des études de design industriel puis travaillé à Londres dans la conception de mobilier. « Peu à peu, je me suis dirigée vers les milieux artistiques avec une conscience environnementale et expérimentale des matériaux », se souvient-elle. Mais c’est à l’ECAL, l’école d’art et de design de Lausanne, qu’elle approfondit cette approche par le prisme du recyclage, particulièrement au cours de sa résidence artistique au Hong Kong Design Institute. « Dans une société d’hyperconsommation où chaque mètre carré compte, la gestion des déchets devient presque une seconde nature. Là-bas, les habitants les compressent en petits cubes qu’ils transportent et regroupent dans des points de collecte jusqu’à former de grands blocs destinés au traitement. Cette organisation ingénieuse m’a fait prendre conscience de la vie d’un produit, de sa matière première jusqu’à sa fin de cycle. »
Installée depuis huit ans sur l’île de Majorque aux Baléares, l’artiste vit dans le village d’Inca, ancien berceau de la fabrication de chaussures en Espagne où Camper a conservé son siège social. C’est là qu’elle commence à travailler pour la marque tout en développant ses premières créations.
« Je réalisais des petits objets à partir de polystyrène hors cycle que je me procurais dans une usine locale de recyclage. Je suis allée sur place pour observer le processus afin de leur donner une nouvelle vie. » La créatrice a depuis fondé son activité et investi un atelier plus vaste dans une ancienne fabrique. Elle a trouvé en Majorque le cadre idéal pour appréhender le geste artisanal : le tissage de paniers, les céramiques de toutes sortes, le verre soufflé, les tuiles, briques et enduits traditionnels en chaux nourrissent son inspiration. « J’aime transposer ces techniques sur de nouvelles matières. Il y a deux ans, j’ai conçu la série MMLM à partir de matériaux d’isolation naturels de Majorque – fibres de bois et lièges recyclés. Je les ai déconstruits, mélangés à des liants et pigments, pour créer une matière entièrement nouvelle. »
La force de ses œuvres réside dans des objets et pièces de mobilier à la matérialité exacerbée, qui habitent les intérieurs imaginés avec des architectes et designers tels que Mesura, Isern Serra, Gabriel Escámez ou El Departamento. Représentée par la galerie VASTO à Barcelone, Sara Regal participera en novembre à une exposition collective de design, curatée par sa fondatrice, Carmen Riestra. •
photos : Residue Soft Remains series, Sara Regal © Maria Baños