Wei Libo

Par Sébastien Maschino

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Wei Libo © Ye Yi

Vous travaillez avec des matériaux comme le bois et la céramique, souvent liés à la mémoire et à la tradition. Qu’est-ce qui vous attire dans ces matières ?
En tant qu’artiste, la question « D’où je viens ? » a toujours été essentielle, car l’environnement, l’atmosphère et les personnes ou les choses qui nous entourent influencent profondément la création artistique. Pour ma part, mes souvenirs d’enfance tournent principalement autour de la maison construite par mon grand-père. Dans cette maison, le bois, la terre et les plantes étaient partout, marqués par les traces du travail manuel de mon grand-père. Ces souvenirs m’ont instinctivement rapproché d’éléments naturels comme le bois et la céramique, des matériaux empreints de chaleur humaine et de simplicité artisanale.

Pour moi, le bois est une matière douce et chaleureuse. Qu’il s’agisse de mes émotions personnelles ou de ses caractéristiques physiques, j’ai du mal à imaginer le bois comme quelque chose de froid. Il m’attire toujours par son toucher : j’aime ressentir ses textures, ses aspérités, les traces laissées par le temps. Le bois possède également une odeur unique, qui retient en elle le temps, l’environnement et les empreintes humaines. Imaginez cette sensation lorsque vous ouvrez une vieille armoire de grand-mère : l’odeur du bois resté longtemps enfermé est si particulière.

Si l’on s’éloigne de la dimension personnelle pour adopter une perspective plus historique et objective, le bois offre un vaste champ de réflexion. Aujourd’hui encore, nous continuons à réécrire son histoire en créant de nouvelles structures et techniques. Par exemple, en complément des assemblages traditionnels comme le « tenon-mortaise », nous utilisons désormais des procédés modernes comme le thermoformage, le collage ou le pressage, qui répondent aux besoins contemporains de l’industrie, de la production et de l’écologie. Le bois, en tant que matériau naturel, contient une richesse infinie de mémoire, de sagesse et d’inspiration pour notre époque.

Quant à la céramique, ce qui m’a d’abord fasciné, c’est un héritage du matériau. Tout comme le bois, elle vient de la nature et fait partie des matériaux fondamentaux (dans la culture chinoise, elle appartient aux cinq éléments avec le métal, le bois, l’eau et le feu). Lorsqu’elle est façonnée par le feu, la terre devient éternelle dans une dimension temporelle. C’est grâce à cette propriété que nous pouvons aujourd’hui admirer dans les musées des pièces de céramique qui ont traversé les millénaires. Par ailleurs, la plasticité de l’argile offre aux mains de l’artiste une liberté d’expression incomparable, permettant une créativité sans limite.

Votre travail mêle des éléments traditionnels et contemporains. Comment ces matériaux et formes créent-ils un dialogue entre passé et présent ?
Tout d’abord, si une œuvre parvient à établir un dialogue entre le passé et le présent, ce n’est pas grâce à moi, mais à la nature même des matériaux. Comparés aux matériaux industriels traditionnels ou aux matières utilisées dans les nouvelles méthodes de production, comme l’impression 3D, le bois, l’argile ou la pierre – ces matériaux naturels et fondamentaux – possèdent une sorte de spiritualité. Ils dialoguent naturellement entre eux. Un bon créateur doit d’abord écouter la voix de ces matériaux, comprendre leurs aspirations, puis leur donner la forme qui leur convient. L’artiste joue alors le rôle d’un amplificateur, qui révèle et diffuse ces dialogues. Cette temporalité propre aux matériaux est unique et irremplaçable. C’est aussi ce qui fait du travail de la sculpture, en tant que médium artistique, un avantage incomparable par rapport aux autres formes d’art.

D’un point de vue temporel, nous, humains, vivons toujours dans le présent, ancrés dans l’instant. En tant qu’artiste, je raconte mes expériences, mes souvenirs et mes émotions, qui sont le fruit du temps limité de ma vie. Je n’ai jamais cherché à m’accrocher délibérément au passé. Ce que l’on appelle la tradition, je l’ai véritablement vécue et ressentie dans mon parcours personnel. Je m’exprime toujours dans le présent, mais les matériaux, eux, étirent cette temporalité à l’infini, créant un dialogue plus profond entre le passé et le présent. Lorsqu’une œuvre est achevée, j’espère pouvoir me retirer et, comme le spectateur, écouter tranquillement la voix qu’elle exprime.

La transformation des matériaux semble centrale dans votre pratique. Que représente cette métamorphose pour vous, à la fois sur le plan personnel et artistique ?
Je n’ai jamais vraiment réfléchi au mot « transformation » dans mes œuvres. Peut-être est-ce dû aux subtilités entre les langues, mais pour moi, ce terme semble avoir une connotation négative. Comme s’il impliquait nécessairement un changement radical par rapport au passé, voire une rupture avec certaines caractéristiques ou relations. Je préfère décrire mon travail comme une « succession » ou une « évolution ». Peu importe comment je façonne ou utilise ces matériaux, ils restent toujours du bois et de la terre ! Je peux toujours les reconnaître clairement, et un spectateur attentif, en s’approchant, peut également les identifier sans difficulté. Par exemple, dans la série Pure Goodness, ces fruits hyperréalistes sont toujours du bois les fissures du bois, y sont encore visibles. Ils conservent leur forme naturelle et maintiennent une relation intime avec la matière. Tout comme la relation naturelle entre une armoire en bois brut et le bois lui-même. Je n’ai jamais voulu couper ce lien. Imaginez qu’un matériau subisse une « transformation totale » : il deviendrait alors muet, incapable de « parler ». Pour moi, cela serait quelque chose de terrifiant.

Dans la vie, j’aime écouter de vieilles chansons. À travers la musique, je puise de la force et de l’inspiration dans mes souvenirs et expériences. Il en va de même pour la création : je souhaite maintenir un lien intime avec le passé, accueillir cet héritage et naviguer librement entre le passé et le présent. Les choses précieuses, celles qui méritent d’être chéries, existent toujours quelque part entre ces deux temporalités. Quant à l’avenir, je n’y réfléchis pas beaucoup. Après tout, les individus, tout comme les lieux, n’existent jamais dans la même notion du temps. Il n’est pas nécessaire de nous laisser enfermer par les concepts traditionnels du temps. •

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