Par un langage ornemental qui s’équilibre entre motifs organiques et domestiques, le duo d’artistes français fait éclore, par le béton, des oeuvres aux scripts sensibles et inattendus.

Xolo Cuintle Béton botanique

Par Maxime Gasnier

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Dust to Dust, Xolo Cuintle, 2023, concrete, steel, 115 × 115 × 15 cm, 2023, DS Galerie, Paris • © Valentin Vie Binet



Suffisamment rares sont les jeunes artistes qui emploient le béton dans leurs créations pour que l’on remarque la pratique du duo Xolo Cuintle. Matériau de référence pour l’architecture, l’urbanisme et l’industrie, il s’invite ainsi dans l’atelier de Valentin Vie Binet et Romy Texier pour s’affirmer, entre leurs mains, comme une pâte à modeler vouée à devenir sculpture. Depuis leur rencontre à l’Ensaama en 2016 et, quelques années plus tard, la formation officielle de leur tandem en 2020, les deux artistes partagent le même vocabulaire esthétique pour réviser l’objet domestique et la figure naturelle. « Plusieurs aspects nous intéressent dans le béton, notamment sa capacité à matérialiser le temps. Nous le sculptons par stratification à la manière d’une accumulation de poussière. Son aspect sableux contribue à cette impression. Il y a également la possibilité de le travailler en l’envisageant comme une couche géologique. Nos sculptures reprennent des ornements et formes d’époques disparates que cette matière grise permet de lier en créant des sortes de sutures de temporalités et de boutures de civilisations », éclairent-ils. Car s’il évoque spontanément une inspiration brutaliste, le béton prend a contrario chez Xolo Cuintle des accents ornementaux, empruntant aux motifs floraux, végétaux, minéraux et animaliers, pour bâtir de nouveaux récits.

À contre-courant de son usage commun, le béton est alors ici dévié, manipulé, pour donner corps à des œuvres tridimensionnelles qui se rapprochent davantage du bas-relief ou de la maquette. « Toutes nos œuvres sont réalisées à l’atelier, nous avons un rapport très manuel à la création. Nous travaillons nos sculptures par ajout de matière. Le béton s’utilise habituellement en tant que matériau coulé et moulé : un liquide qui se cristallise en épousant les formes de son contenant. Nous le travaillons par modelage. À partir d’une structure interne que nous fabriquons, nous la recouvrons par couches successives„ chacune permettant une mise en volume progressive », décrivent-ils. Cette double technique de stratification et de sculpture donne ainsi lieu à des projets aux formats multiples qui explorent les possibilités mêmes du volume, tout en évoquant visuellement des gestes artisanaux traditionnels comme la marqueterie, la plâtrerie, l’orfèvrerie ou le vitrail – on peut aisément imaginer leur roue Dust to Dust (2023), façonnée d’arcs de feuilles et d’épis de maïs, comme la rosace fantasmée d’une cathédrale champêtre. Du meuble au décor, de l’objet à la nature, du bâti au déconstruit, les frontières s’aimantent et enclenchent des narrations que le duo déploie tant dans l’espace d’exposition que public.

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L’été dernier, Xolo Cuintle a été invité par la Société des Nouveaux Commanditaires à établir une œuvre pérenne au sein d’une cour d’immeuble du début des années 1990, logé dans le 18e arrondissement parisien. Intitulée Jardin de Symbioses, l’installation s’envisage comme un herbier composite, sorte de portrait poétique des résidents du lieu qui en déploraient « l’inadaptation au vivant » en raison de mauvaises conditions lumineuses et thermiques. Problème résolu par ce jardin néobotanique imaginé par les artistes et accompagné par le commissaire Thomas Conchou, qui créent toujours en s’attachant au contexte et à l’environnement accueillant leurs œuvres : « Il y a dans notre travail de sculpture une dimension fondamentalement narrative. En ce sens, lieu et contexte servent souvent de points d’entrée. Ils déduisent un cadre qui nous aide à concevoir les expositions. On se plaît à penser un espace comme un script. Le contexte, qu’il soit historique ou géographique, alimente cette écriture. Celui-ci n’est pas toujours visible, on aime à déterrer des histoires enfouies. Les caractéristiques techniques et architecturales du lieu vont également induire des productions, dans un jeu d’écho entre les œuvres et leur environnement », informe le duo.

Au-delà de la résonance narrative, il faut noter l’ironie du rapport matériel œuvre/lieu qui imprègne ce jardin : la réponse à l’inconfort bétonné a été trouvée dans le béton lui-même. « La prédominance du béton dans notre travail découle de l’omniprésence du matériau dans nos villes dont les frontières s’étendent. Sa prolifération au siècle dernier s’inscrit dans cette volonté propre à l’être humain de souhaiter pleinement maîtriser son cadre de vie, jusqu’à faire du béton son environnement. Nous nous intéressons aux failles de ce système. Au sein de ces espaces urbains qui cherchent un contrôle de l’hygiène et des flux, certaines plantes clandestines se logent dans les interstices. Ces plantes résilientes sont des figures récurrentes de notre travail. Elles soulignent selon nous la limite de cette logique binaire, la dimension paradoxale de ce matériau, notamment dans notre rapport à la nature qui est à repenser », indiquent Valentin Vie Binet et Romy Texier. Finalement, l’art de Xolo Cuintle, comme ils aiment à l’analogiser, n’est autre qu’un ricochet dans la mesure où le béton finit toujours par faire dialoguer sa valeur esthétique avec son époque. « Pourquoi donc voudriez-vous que le mariage du béton et de la beauté soit contre nature ? […] Le béton est tout neuf ; il a pour lui ’’le droit naturel du présent sur le passé’’ », pour reprendre les mots de Marcel Joray (Marcel Joray, Le béton dans l’art contemporain – Vol. 1, 1977, Éditions du Griffon.) •

by order of appearance : Foundation in the Dust, Xolo Cuintle, 2024, view of the off-site exhibition ’lunulae #4’. Curator: Thomas Maestro. Espace de la Croix Louis, Brétigny-sur-Orge. CAC Brétigny, 2024 © Valentin Vie Binet • Garrulus Fagus, Xolo Cuintle, 2023, concrete, glazed stoneware, ashes, pine, 104 × 45 × 10 cm, DS Galerie Paris © Valentin Vie Binet